Détournements de campagne

Publié le 06 décembre 2016 par Frédéric Joli

Couverture du numéro d’oOctobre de la revue Adbusters (les casseurs de pub)

NEWS NEWS NEWS Alors que paraît « Publicités détournées » (Hoebeke), un livre d’Olivier Darmon sur les parodies publicitaires et politiques, quelques réflexions sur un petit florilège d’affiches de contre-propagande politique – toujours intéressant en ce début de campagne présidentielle (publié dans Le Monde IDEES)

Le « jamming » d’Adbusters

Ce photomontage de Donald Trump a été publié à la « une » du numéro de septembre-octobre d’Adbusters, magazine de l’association canadienne anticonsumériste et anticapitaliste du même nom, à l’origine de manifestations comme le Buy Nothing Day (« la journée sans achats ») ou du mouvement Occupy Wall Street. Entendant « riposter contre l’OPA hostile de nos environnements psychologiques par les forces commerciales », Adbusters pratique avec talent, en ligne et sur papier, le cultural jamming, le détournement des campagnes publicitaires des marques et des partis politiques.

Cette image de Trump en dictateur d’un monde de consommateurs accompagne un numéro spécial critiquant la montée d’un nouveau fascisme libéral et« cool » où, selon l’éditorial, « nous enterrons nos têtes dans le confort d’une réalité virtuelle tandis que des mythomanes captivent l’imagination des masses ».

Contre-publicité virale

Création DÉLIRIUS

Cette image de Marine Le Pen voilée, qui a beaucoup circulé sur Internet, a été publiée en 2012 par le journal satirique en ligne ­Délirius, spécialisé dans le détournement humoristique des documents de propagande politique. « Les parodies ont uniquement pour but de faire rire et sourire », avertit le site.

Marine Le Pen est une de leurs cibles favorites : ils l’ont représentée en Brice de Nice « cassant » du migrant, en tyrannosaure ou avec le visage de son père. « L’essor d’Internet a mis à la portée de tous la possibilité de détourner et de prendre ironiquement la parole sur le discours des marques », constate le journaliste Olivier Darmon dans le livre ­Publicités détournées (Hoëbeke, 174 pages, 18 euros), qui publie notamment cette image. La communication politique n’est pas à l’abri : du jour au lendemain, la campagne officielle d’un parti ou d’un candidat peut être ridiculisée par une contre-pub qui se diffuse de façon virale sur la Toile.

Hollande versus Obama

Création ERIC SÉGUINOT

En 2008, pendant la campagne pour l’élection présidentielle aux Etats-Unis, l’artiste de rue Shepard Fairey réalise un portrait stylisé de Barack Obama avec pour sous-titre le mot « Hope » (espoir).

Création SHEPARD FAIREY

L’affiche qu’il en tire se vend comme des petits pains. Aussitôt adoptée par la direction de campagne du candidat, elle est placardée dans toute l’Amérique. A la suite de la victoire d’Obama, l’image devient emblématique et la National Portrait Gallery de Washington fait l’acquisition en janvier 2009 de l’œuvre originale, réalisée au pochoir et à l’acrylique. Accompagnée du slogan « Yes we can », l’image a fait le tour du monde, et donné naissance à des sites et des applications proposant de transformer toute photo en une affiche semblable. Le graphiste Eric Séguinot en proposait en mai 2015 cette version satirique avec François Hollande, victime depuis quatre ans d’un bashing en ligne ininterrompu. Les photos et les images officielles du président ont suscité d’innombrables détournements parodiques et caricaturaux.

L’ego déconstruit

Création Alain Le Quernec

Cette affiche de 2002, conçue par le graphiste Alain Le Quernec pour la section du Parti socialiste de Quimper, perpétue l’esprit d’Adbusters et des « casseurs de pub » français : détourner les publicités de marques pour en faire des images politiques.

En réalisant ce portrait de Nicolas Sarkozy avec les pièces d’un jeu Lego, il moque le fait qu’à l’époque, le nouveau ministre de l’intérieur accaparait la parole dans les médias, multipliant les formules fortes, mettant en avant sa personne. Cette charge sur l’ego du futur président apparaît aujourd’hui prophétique.

En novembre 2007, dans le magazine du Monde, le linguiste Alain Rey constatait que le président Sarkozy fraîchement élu avait utilisé 126 fois le mot « je » dans son allocution de juin aux parlementaires, et 134 fois dans son discours d’août au Medef, assorti de 55 « Je veux ». « Même le roi disait : “Nous voulons” », concluait Alain Rey, inquiet.

  Frédéric Joignot
  • Journaliste au Monde