Pourquoi l’élite mondiale surfe aux Culs-Nus à Hossegor

Publié le 08 octobre 2016 par Jfa

La seule étape française du championnat du monde de surf, le Quiksilver Pro pour les hommes, Roxy Pro pour son pendant féminin, un temps pressentie à la Gravière, s’est installée sur la plage des Culs-Nus, à mi-chemin entre Hossegor et Seignosse. Après avoir connu un début de période d’attente (4 au 15 octobre) difficile en raison d’un plan d’eau dégradé, la compétition bat son plein. Entre météo aléatoire et vent défavorable, les organisateurs doivent constamment s’adapter. 

Les Culs-Nus peuvent, comme la Gravière, offrir de jolies vagues creuses. Ici, le leader du classement mondial, John John Florence, a trouvé un des rares tubes de la journée. © WSL/Damien Poullenot

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C’est Alain Riou, contest director (« directeur de compétition »), qui se décrit modestement « plus comme un consultant », qui a été chargé, comme tous les ans depuis 2014, de la lourde tâche de choisir le spot où s’est installée cette 9e étape (sur 11 pour les hommes, 10 pour les femmes) du Samsung Galaxy Championship Wold Tour (CT). Il explique toute la difficulté non seulement à opter pour l’endroit idéal qui contentera tous les acteurs de l’événement, de la World Surf League (WSL, l’instance internationale organisatrice du CT) au public, en passant évidemment par les surfeurs, mais aussi à s’assurer que la compétition se déroulera dans les meilleures conditions possibles.

« Les surfeurs viennent en France pour les tubes »

« Tout d’abord, explique Alain Riou, il faut savoir qu’en France, comparé à beaucoup d’endroits dans le monde, les bancs de sable changent très très vite. Or les belles vagues dépendent des bancs de sable. Pas de pointe de sable, pas de belles vagues. » Contrairement, donc, aux récifs comme Cloudbreak, aux Fidji, ou Teahupoo, à Tahiti. « Sur ces spots-là, les vagues déroulent toujours au même endroit. En France, il faut prendre en compte le côté aléatoire du fond marin. » Et c’est toute la complexité du travail d’Alain, dont les opérations de repérage débutent trois mois avant le début de la compétition. « Mon rôle est de trouver l’endroit idéal avant le début de la compétition. » Une fois le spot sélectionné, il faut toutefois être prêt à changer son fusil d’épaule à tout moment. « Cette année, j’avais choisi la Gravière [réputée pour ses vagues tubulaires, située à quelque 500 m au sud des Culs-Nus], mais là-bas il n’y a quasiment pas de plage à marée haute. » Impossible, donc, d’installer toute l’infrastructure, un bâtiment démontable d’une longueur approximative de 150 mètres, comprenant l’espace dévolu aux surfeurs et aux VIP, la cabine des juges et du direct de la WSL, celle des commentateurs de télévision, la salle de presse et la zone mixte.

La structure des Quiksilver et Roxy Pro installée sur la plage des Culs-Nus. © TW

Cheyne Bradburn, responsable de l’organisation et du marketing pour tous les événements européens de la WSL, d’ajouter : « D’année en année, l’eau monte. Maintenant, on est obligés de positionner la structure de plus en plus près de la dune et donc d’en réduire la profondeur. » A la Gravière, spot de marée haute, l’océan gagne du terrain, ne laissant que quelques mètres de plage insuffisants pour accueillir le site principal. « Il a fallu opter pour une solution de repli, enchaîne Alain Riou. Comme je sais que les surfeurs viennent en France à la recherche de tubes, j’ai donc tout misé sur un endroit qui marche quand c’est gros, offshore [vent de terre], et qui est susceptible d’offrir des tubes… » La compétition aura lieu aux Culs-Nus, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de la Gravière et qui doit son nom à la présence tolérée des naturistes.


La Gravière, une vague qui, par grosse houle et vent de terre, requiert un excellent niveau. Débutants s’abstenir !

© Surfsession.com


Une fois le spot choisi, il faudra composer, tout au long de l’événement, avec les horaires de marée, les caprices de l’océan et la présence du vent. « S’il n’y a pas de vent de terre, il n’y aura pas de tubes. On est obligés de faire avec ce qu’on a », concède Alain Riou. D’ailleurs, cette année, aléas de la météo obligent, à défaut de s’illustrer dans les tubes, les surfeuses et surfeurs devront multiplier les manœuvres sur les vagues pour prétendre aux titres de reine et roi d’Hossegor. « Il faut que la compétition se fasse quoi qu’il arrive. On sait qu’il y aura des vagues jusqu’à lundi ou mardi [11 ou 12 octobre], donc on enchaîne. »

Lueur d’espoir à la Gravière

Toute l’équipe reste sur le qui-vive pour éventuellement déplacer une partie du site si les vagues sont meilleures ailleurs. « On est équipés de tentes et de groupes électrogènes. On a les moyens par exemple d’installer les juges à la Gravière si on pense que les vagues y seront meilleures. » Une migration qui a failli se faire au 3e jour de la compétition. « On a hésité ce matin [jeudi]. Il y avait de jolies vagues là-bas, et ce spot assure davantage de spectacle, plus de tubes… Mais c’est un banc de sable qui marche à marée haute. Or [celle-ci] était déjà en train de descendre. » Pas question de perdre du temps à monter, démonter et déplacer les installations au vu de la houle indigne de l’élite du surf mondial annoncée à partir du 11 ou du 12 octobre. Pourtant, le jour même, vers 20 h 30, les prévisions semblant favorables à de jolis tubes la Gravière, il est envisagé d’y lancer le 5e jour de la compétition. Première étape, aller voir sur place. Bonne nouvelle, à marée haute il reste une dizaine de mètres entre la dune et l’océan. Les surfeurs étant convoqués pour 8 heures le lendemain, le travail des équipes de montage débute à 5 heures. Il faudra entre deux et trois heures pour transporter et assembler le matériel mobile – tentes des surfeurs, cabine des juges, le direct de la WSL –, dans trois camions.

Pendant la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 octobre, les équipes ont installé la cabine des juges, celle du direct et les tentes pour les surfeurs. En vain. A 8 heures, la Gravière ne coopère toujours pas, il faudra retourner aux Culs-Nuls. © WSL /Poullenot/Aquashot

Las, au petit matin, la Gravière ne tient toujours pas ses promesses. A 8 h 15, il faut se rendre à l’évidence, les vagues ne s’améliorent pas. Opération ratée, il faut retourner aux Culs-Nus.

« Entre le marteau et l’enclume »

Alors oui, parfois, les décisions alimentent les polémiques. Parmi celles qui ont émaillé cette édition des Quiksilver et Roxy Pro : était-il judicieux de lancer les hostilités au premier jour de la période d’attente, dans des conditions qui se sont détériorées rapidement, forçant les organisateurs à interrompre la compétition après deux séries seulement ? Fallait-il prendre le risque, au 5e jour, de quitter le spot principal ? Alain Riou sourit : « En fait, on [les organisateurs] se trouve un peu entre le marteau et l’enclume. » Entre la WSL, qui souhaite que la finale ait lieu un dimanche pour qu’il y ait plus de spectateurs sur la plage, et les surfeurs, qui ne veulent aller à l’eau que quand il y a de bonnes conditions…

Il faut assurer le meilleur spectacle pour le public, car « la compétition attire de plus en plus de monde chaque année », selon Cheyne Bradburn. © TW

« Il faut faire en sorte d’arranger tout le monde comme on peut. Lundi, par exemple, on savait que le vent allait se lever, mais quelques jolies vagues étaient passées, alors on s’est réunis et on a opté pour envoyer les séries… Evidemment, nos choix sont souvent critiqués. De toute façon, il n’y a que celui qui gagne à la fin qui t’aime bien », conclut dans un petit rire Alain Riou, résigné. 

Et si Kelly Slater ne veut pas aller à l’eau ?

Envoyer les surfeurs à l’eau est une décision prise conjointement par Alain Riou, le chef-juge Richie Porta, et le représentant des surfeurs – Adrian Buchan actuellement –, et le commissioner de la WSL, l’ancien surfeur professionnel australien Kieren Perrow. Lundi, la rumeur a couru que Kelly Slater ne voulait pas se mettre à l’eau. Rumeur démentie par Alain Riou. « Je suis allé le voir avant sa série. Il nous a dit « ah, ça va être difficile », mais il a quand même enfilé son lycra. » D’ailleurs, un surfeur peut-il mettre son veto sans risquer une sanction de WSL ? « Ça dépend comment il le fait. Même Kelly ne peut pas mettre son veto. Mais s’il nous dit « les gars, c’est vraiment nul », on réfléchit à deux fois avant d’envoyer les séries. » Car la parole du « King », 44 ans, onze fois champion du monde et présent sur le Tour depuis… 1992, a du poids. « C’est un peu le boss ici… Et puis il connaît les spots aussi bien que moi ! J’étais encore tout gamin qu’il venait déjà disputer des compétitions ici, s’amuse Alain. Mais c’est quelqu’un d’intelligent, il a conscience de nos impératifs, et il sait aussi reconnaître s’il a eu tort. » Et dans toute situation litigieuse, c’est Kieren Perrow qui aura le mot de la fin, que Kelly Slater, Joel Parkinson, Tyler Wright ou Stephanie Gilmore aient des doutes ou pas.