Carine et Manu, accompagnés de leurs filles Lou, 11 ans, et Shadé, 5 ans, vivent au gré de leurs voyages. Mais pas n’importe comment. Car, pour eux, pas question de ne montrer que le sport performance et l’aspect paradisiaque des contrées dans lesquelles ils se rendent. Eux ont décidé de vivre leurs voyages autrement, entre immersion dans les cultures locales et sensibilisation des enfants aux problèmes environnementaux, sans verser dans un discours écologiste moralisateur et culpabilisant. Ils présentent vendredi 18 novembre leur dernière production, Fanning ou l’impossibilité d’une île, sélectionnée par le Festival du film d’aventure de La Rochelle [15-20 novembre].
Carine, Manu, Lou et Shadé, sous le soleil couchant de Papouasie occidentale. © Pierre Bouras
Avec leur physique athlétique, leur blondeur exacerbée par les assauts du soleil et de l’océan et un goût prononcé pour l’aventure, Carine Camboulives et Emmanuel « Manu » Bouvet étaient faits pour se rencontrer. « On s’est rapidement rendu compte qu’on avait quelques points communs en dehors d’une passion secrète pour la finance et la gestion », s’amuse ce dernier. Car c’est lors de leurs études à l’ESCE (Ecole supérieure du commerce extérieur) que ces deux passionnés de planche à voile se sont trouvés. « Notre idée était de travailler dans un endroit où on pouvait continuer à pratiquer le windsurf. » Pour leur stage de fin d’études, en 1994, ils décident de monter une agence de voyage spécialisée dans les sports de glisse à Maui (Hawaï). Le succès de leur structure leur permet de rester aux Etats-Unis. Tout leur temps libre, ils le passent à rider sur le spot de Ho’okipa, qui est au windsurf ce que que Pipeline est au surf.
Emmanuel Bouvet sur le spot de Pe’ahi, plus connu sous le petit nom de Jaws. © Pierre Bouras
Carine est rapidement repérée par des photographes. « Il n’y avait pas beaucoup de filles à cette époque, analyse la native de La Rochelle. La génération d’avant était celle des Nathalie Simon et Jenna De Rosnay. J’étais un peu la Française qui débarque… » Puis c’est au tour des sponsors – BIC Sport pour les planches, Neil Pride pour les gréements – de s’intéresser au couple, qui se spécialise dans les voyages de découverte de vagues et spots inexplorés, d’abord en windsurf, ensuite en kitesurf et, depuis une dizaine d’années, en stand up paddle. « On n’avait jamais imaginé pouvoir faire de notre passion notre métier, avoue Manu. Mais c’est ce qui s’est passé et on est toujours en train de surfer cette vague-là, même à notre âge avancé [tous deux ont 44 ans] ! » Un âge qui n’a en rien altéré leur enthousiasme. « Les sponsors, concrètement, nous paient pour qu’on leur offre de la visibilité. Ce qu’on fait en tournant de belles images avec leurs produits sur des spots inexplorés. La recherche de ces endroits vierges, pour moi, c’est comme une chasse au trésor, s’anime Manu. J’étudie les cartes marines, la bathymétrie, la côte. » Tous les moyens sont bons pour dégoter la perle où ils poseront leurs valises, des récits de marins aux questions façon « bouteille à la mer » postées sur les forums.
Pollution, montée des eaux, mondialisation
Pour Carine et Manu, qui voyagent désormais avec leurs deux filles, Lou et Shadé, il s’agit de montrer des contrées paradisiaques, mais aussi de faire connaître les habitants, leur culture, leur quotidien, leurs problèmes, leurs préoccupations. Et très vite, en discutant avec la population ou en se rendant dans les mêmes endroits à plusieurs années d’intervalle, ils sont les témoins de l’évolution qui s’opère sur les spots – « rarement positive », selon eux –, qu’elle soit due au changement climatique, à la mondialisation ou à la pollution. Il n’est plus question de ne s’intéresser qu’à la vague qui déroule, aux conditions de vent parfaites pour la planche à voile ou au plan d’eau propice à une balade en stand up paddle. « On s’est dit qu’on pouvait utiliser la vitrine que nous donne les médias pour parler des problèmes environnementaux, enchaîne Manu. En tant que rideurs, on est directement liés à la nature. Si nous, on ne défend pas notre terrain de jeu favori qu’est l’océan, qui le fera ? »
Carine Camboulives dans les îles Marshall. Un décor paradisiaque pourtant menacé par le changement climatique. © Max Houyvet
Alors, ils parlent de ces arbres totalement couchés sur les plages des îles perdues au beau milieu du Pacifique, ceux-là mêmes qui étaient encore debout lors de leur dernier passage. Ils recueillent des témoignages glaçants. Comme celui de cet homme, sur l’île de Noël, qui explique que son village se trouvait il y a quelque temps sur le rivage aujourd’hui disparu sous les eaux, ou encore celui de ce pêcheur rencontré sur Christmas Island qui explique que le thon s’est fait rare depuis que ce bateau-usine stationne à 300 mètres au large et qu’il lui faut désormais s’aventurer sur son frêle esquif toujours plus loin au péril de sa vie pour rencontrer un spécimen de ce poisson qu’il pêchait naguère en abondance.
Au beau milieu des gyres de plastique
« On aboutit à des situations hallucinantes où l’habitant du coin a été obligé d’acheter une boîte de thon qui a été pêché en face de chez lui et usiné à l’autre bout du monde », se désolent Carine et Manu. Pour leur documentaire tourné sur l’île de Pâques, située dans le gyre de plastique du Pacifique sud, le couple rejoint la fondation Race for Water, dont ils sont ambassadeurs, pour sensibiliser les jeunes à la pollution plastique, un sujet qui les touche de près, eux qui habitent à Maui, au beau milieu du vortex du Pacifique nord.
Manu fend les vagues de l’île de Pâques entre deux ateliers de sensibilisation à la pollution plastique. © Pierre Bouras
« Avec les enfants, on essaie d’avoir un discours positif, explique Manu. On leur explique que leur environnement est beau, mais qu’il est en danger et qu’en tant qu’enfants ils peuvent changer les choses. » Le tout à l’aide de vidéos, de photos, de collectes de déchets sur les plages, d’interventions dans les écoles… « Un gamin de 5 ans, assure Manu, est déjà à même de comprendre que lui aussi, comme l’oiseau mort plein de plastique dont il vient de voir la photo, va ingérer le même plastique en mangeant le poisson qui en a lui-même avalé. » Un discours qu’il est plus difficile à faire accepter à des adultes, « peut-être parce que les gens se sentent tout de suite attaqués personnellement », avancent Carine et Manu.
Le voyage à bord d’une des dernières goélettes à voile assurant la liaison entre les îles de la Ligne. Un voyage qui semble éprouvant. © Pierre Bouras
Tout à leur bonheur de voyager, ils mesurent la chance qu’ils ont. « Je ne suis jamais en vacances, mais jamais au travail non plus », s’amuse Manu. Et d’ajouter plus sérieusement : « Ce qu’on fait, on le fait avec plaisir, mais ça demande aussi rigueur, organisation et investissement. » Et une bonne résistance physique. Pour leur dernier voyage en date, toute la famille s’est rendue, à bord du Kwai, une des dernières goélettes de transport à voile, à la recherche de vagues et de vent sur l’île de Fanning, perdue au milieu de l’océan Pacifique, où vit Bruno, le Robinson de Fanning, un Français installé sur l’île depuis trente ans. « A la fin de ce dernier voyage, toute la famille était un peu mal en point. Les filles avaient attrapé quelque chose à l’estomac, Shadé est rentrée un peu maigrichonne, mais rien de bien dramatique, tempère Manu. On ne fait pas non plus n’importe quoi, mais le principe de précaution qui diabolise tout voyage sortant des sentiers battus, ça ménerve. » Et heureusement, puisque le film issu de ce dernier trip a été sélectionné pour le Festival du film d’aventure de La Rochelle, que Carine et Manu présenteront le 18 novembre.
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