Extirper l’environnement à la racine

Publié le 18 mai 2014 par Gezajans

Il n’est point de sotte question et aussi futile paraisse celle posée au Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité relative aux plantations en limite de propriétés privées (articles 671 et 672 du Code civil), la réponse donnée par la Décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014 qui déclarent lesdits articles conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution mérite qu’on s’y arrête car elle délivre une certaine vision du monde (on s’en console) et, eu égard à sa portée juridique, du droit (on s’en désole).

Conçues pour organiser les relations de voisinage jusqu’à certains détails lucifériens, ces dispositions législatives établissent une servitude réciproques qui interdit aux propriétaires de fonds voisins d’avoir des arbres d’une hauteur excédant deux mètres à moins de deux mètres de la ligne séparative et à moins d’un demi-mètre pour les autres plantations. Si ces distances ne sont pas respectées, le voisin peut, sans avoir à justifier d’un préjudice ou à invoquer un motif particulier, exiger l’arrachage ou la réduction des plantations.

Deux séries de griefs ont été invoqués par les requérants devant le Conseil constitutionnel : d’une part, la méconnaissance de la Charte de l’environnement et plus précisément de son Préambule, de ses articles 1er à 4 et de son article 6  ; d’autre part, la méconnaissance du droit de propriété.

Peu de discussion s’agissant des articles de la Charte : l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, ont valeur constitutionnelle (décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, cons. 18), notamment les quatre premiers articles de la Charte invocables dans le cadre d’une QPC (décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 et décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, combinant les articles 1er et 3 de la Charte). L’article 6 de la Charte ne peut en revanche être invoqué dans le cadre d’une QPC dans la mesure où « cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit» (Décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, cons. 22 ; décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, cons. 19).

Le Préambule de la Charte est en revanche davantage en question. Le Conseil constitutionnel s’y est déjà référé (décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011) mais, suivant la position de l’Etat, il limite ici la valeur juridique de ces considérants (cinq constats, deux objectifs) : « si ces alinéas ont valeur constitutionnelle, aucun d’eux n’institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu’ils ne peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » (cons. 5).

Le Conseil Constitutionnel chapitre donc que les considérants de la Charte de l’environnement n’ont pas la même valeur que le Préambule de la Constitution de 1946 ou les droits de la Déclaration de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Des droits ont pourtant formellement été déduits de ces textes fondamentaux. Alors pourquoi une telle relégation ? Délit de jeunesse de la Charte ou de faciès trop verdâtre ? Mystère désolant et déception à la mesure des espoirs environnementalistes.

Quant aux articles proprement dits, s’il sont invocables, ils ne sont pas ici applicables selon le Conseil constitutionnel : les dispositions contestées « sont relatives aux règles de distance et de hauteur de végétaux plantés à proximité de la limite de fonds voisins ; que leur application peut conduire à ce que des végétaux plantés en méconnaissance de ces règles de distance soient arrachés ou réduits ; que ces dispositions s’appliquent sans préjudice du respect des règles particulières relatives à la protection de l’environnement, notamment l’article L.130-1 du code de l’urbanisme ; qu’eu égard à l’objet et à la portée des dispositions contestées, l’arrachage de végétaux qu’elles prévoient est insusceptible d’avoir des conséquences sur l’environnement ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la Charte de l’environnement est inopérant » (cons. 9).

En vertu d’une étrange lecture littérale et compartimentaire, les articles 671 et 672 du Code civil ne concerneraient que le voisinage, au sens le plus restrictif du terme, et seraient donc sans incidence sur l’environnement. Un champ d’application limité doit rester limité et peu importe que le monde change de tout côté, vite et pas en bien si on s’intéresse à la conservation de la nature.

Or quoi de plus environnemental que le voisin ? Cette décision ignore (volontairement ?)  la participation exceptionnel du voisin à la protection de l’environnement. L’environnement est un élément régulateur des relations de voisinage et de ce fait, depuis l’Antiquité, le droit conduit le voisin à protéger indirectement l’environnement.

Déjà prévue par les Romains (Digeste, 8, 5), développée dans le cadre des Laws of torts par Blackstone au XVIIIème siècle, la théorie des troubles de voisinage participe de cette protection même si elle ne s’attache qu’aux caractéristiques de la nuisance. Suivant cette théorie, si chacun doit en principe supporter les inconvénients normaux qui résultent du voisinage, ce principe cède en présence d’un trouble anormal apprécié « en fonction des circonstances de temps et de lieu » rappelle régulièrement la Cour de cassation, et « spécial » ajouteront les juridictions administratives. Dès le début du XIXème siècle, les tribunaux vont forger la théorie, battant ainsi en brèche le caractère absolu du droit de propriété énoncé en 1804 et permettant une protection de l’environnement découlant de la contiguïté de fonds. L’intérêt de la théorie est qu’elle peut être utilisée pour lutter contre les nuisances les plus variées avec comme fondement une idée écologique sous-jacente selon laquelle il existerait un droit à la tranquillité du cadre de vie. La protection est visuelle ou paysagère, sonore, olfactive, concerne la pollution de l’air, des eaux, du sol.

C’est suivant une logique de protection du seul voisinage que va être élaborée la législation relative aux nuisances industrielles depuis le XVIIème siècle et l’apparition du pouvoir industriel au XIXème siècle participe à la minimisation de la lutte contre les dangers. En effet, le décret du 15 octobre 1810 complété par l’ordonnance du 14 janvier 1815 relative aux manufactures et aux ateliers insalubres, incommodes ou dangereux, base pour plus d’un siècle du contrôle des nuisances industrielles, se présente comme une mesure d’arbitrage entre l’établissement et son voisinage plutôt qu’une réglementation visant la salubrité publique. La loi du 19 décembre 1917 marquera un progrès en introduisant les notions de santé publique et d’agriculture dans son article premier mais toujours après avoir cité le voisinage et il en sera ainsi jusqu’aux années 1970. Curieuse vision/amnésie donc que celle du Conseil constitutionnel pour lequel le droit applicable aux relations de voisinage n’encadre pas les préoccupations environnementales.

S’astreignant à extirper toute idée de préoccupation environnementale du Code civil, les « Sages » enfoncent le clou. Si intérêt environnemental il y a, les autorités compétentes ont toute latitude pour en assurer la protection par exemple en classant comme espace boisé classé dans le cadre des PLU (article L. 130-1 du Code de l’urbanisme) « les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut s’appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies, des plantations d’alignements ».

La décision écarte enfin toute violation du droit de propriété, en application d’une jurisprudence désormais classique, abondante et constante, fondée sur la conciliation des droits des propriétaires de fonds voisins. Vérification faite de leur proportionnalité, les servitudes imposant le respect de certaines distances pour les plantations en limite de la propriété voisine participent de cette conciliation. Le législateur a entendu assurer des relations de bon voisinage et prévenir les litiges ce qui est conforme à la Constitution conclut le Conseil constitutionnel.

Reste simplement le sentiment d’une étrange volonté d’extirper l’environnement du Code civil.