Il y a un argument majeur en faveur d’un Euro à 24 équipes, tel que l’inaugure cette édition 2016 : la possibilité d’y accueillir des « petites » nations qui vont lui conférer quelque diversité, l’ouvrir à d’autres footballs et valoir au pays hôte la présence de sélections aussi sympathiques que, cette année, l’Irlande du Nord et ses supporters enflammés. L’argument se tient si l’on croit spontanément au principe d’élargissement de l’Europe du football, en préconisant une représentation plus large des différentes nations, et en prenant en compte l’augmentation du nombre de fédérations affilées à l’UEFA depuis 1990.
Les intentions du promoteur de cette formule, Michel Platini, n’étaient pas toutes aussi nobles : il y entrait aussi un calcul électoral destiné à lui assurer le soutien des petites fédérations, exactement comme avec sa réforme des compétitions européennes de clubs (offrant à leur représentants une présence plus significative – quoiqu’en trompe-l’œil – en Ligue des champions). Le projet était surtout en phase avec la volonté de croissance de l’UEFA, certaine de voir ses ressources augmenter, en particulier sur les droits de diffusion ainsi que les recettes de billetterie et de sponsoring.
ENJEUX DILUÉS, MOINDRE INTENSITÉ
Le bilan sportif, au moment où s’achève la phase de poules, est mitigé. Le système de qualification pour les huitièmes de finale, outre qu’il est d’une complexité ubuesque, prévoit ainsi de qualifier quatre « meilleurs troisièmes » des groupes. Un repêchage généreux (le premier tour n’élimine que 8 équipes sur 24) qui a contribué à l’intensité assez faible des rencontres dans la plupart des groupes, l’enjeu étant plus dilué [1]. La formule à six groupes de quatre induit aussi que le calendrier, d’abord extrêmement dense lors de la phase de poule, ménage ensuite de longues périodes de béance pour les équipes.
L’augmentation du nombre de sélections qualifiées entraîne en théorie une baisse du niveau général, alors que l’Euro avait pour intérêt de proposer une compétition très relevée, avec moins de « discrimination positive » (via les contingents de places accordés aux continents) que la Coupe du monde. On peut toutefois considérer que la préférence pour un Euro à 16 équipes relève, de ce point de vue-là, d’une philosophie élitiste. Surtout, on n’a pas relevé, ces deux dernières semaines, de très grands écarts de niveau entre les équipes : comme lors du Mondial au Brésil, la compétition a confirmé que dans le football de sélection, fragilisé depuis des années par l’hégémonie croissante du football de clubs, est l’objet d’un nivellement sensible.
UN SPECTACLE MODÉRÉMENT EXCITANT
L’adage selon lequel il n’y a plus de petites équipes a en effet été une nouvelle fois confirmé. Le resserrement tient à un ensemble de facteurs, parmi lesquels les progrès tactiques généraux, qui favorisent les outsiders – d’autant que les « grandes » sélections (qui récupèrent les joueurs les plus sollicités durant la saison) ont un temps réduit pour travailler et traduire sur le terrain leur supériorité théorique. Elles y parviennent toutefois suffisamment pour se qualifier : le jeu des têtes de série et la formule leur donnent quelques assurances à cet égard. Ainsi, l’élargissement de l’Euro ne les a-t-il pas menacées, au contraire, diminuant nettement l’éventualité d’une élimination prématurée.
Le spectacle, lui, n’a pas suscité une très grande excitation. Lors de la Coupe du monde 2014, le premier tour avait proposé des matches débridés et des équipes extrêmement séduisantes. Depuis le 10 juin, on a vu peu de scores fleuves, peu de rencontres exaltantes et peu d’équipes au sommet de leur expression – sauf, ponctuellement, dans les groupes les plus relevés et comportant des favoris de l’épreuve : D avec l’Espagne et la Croatie, E avec l’Italie et la Belgique. Pour certaines sélections, comme l’équipe de France, le premier tour a parfois ressemblé à une phase de préparation, avant le passage aux choses sérieuses de la phase à élimination directe. Une première phase saturant les calendriers, présentant une intensité sportive et ménageant les écuries majeures : l’Euro à 24 souffre bien du syndrome de la Ligue des champions.
L’EMPIRE DE L’UEFA
Comme la FIFA avec la Coupe du monde et le CIO avec les Jeux olympiques, l’UEFA aura ainsi contribué à la course au gigantisme qui caractérise les grands événements sportifs. Le fait que la confédération européenne partage très peu ses bénéfices, obtenant même du pays organisateur une exorbitante exemption fiscale, incite à penser que le pays organisateur fait littéralement les frais de cette opération. La facture augmente mécaniquement en raison des coûts liés d’une part à la construction / rénovation d’un parc des stades, d’autre part à la mise à disposition des infrastructures et des moyens publics.
Le gouvernement européen du football y voit d’abord une manière d’étendre aussi bien sa puissance économique que son pouvoir politique. Et cette perspective est si tentante qu’elle ne se pose plus la question de l’intérêt du football lui-même. La visite des sites de la compétition donne le sentiment d’entrer dans UEFA Land, une zone extraterritoriale où la confédération impose ses sponsors, ses règles, son logo, ses images, signifiant bien qu’elle est devenue à la fois une marque et un empire. Peu d’acteurs se demandent si sa vocation est vraiment de célébrer ainsi sa grandeur et de s’enrichir indéfiniment, mais dans les villes hôtes, on a mal ressenti l’arrogance de l’organisateur, se comportant en terrain conquis (ou acquis).
UNE DÉCROISSANCE NÉCESSAIRE
Le bilan global de l’Euro – économique et politique, dans l’opinion et les médias – reste à établir, à ce jour. Il dépendra de facteurs pas tous très rationnels, comme le parcours de l’équipe de France. Même les graves faits de hooliganisme, qui témoignent de la faillite des doctrines policières françaises, pourront être pondérés s’ils ne se reproduisent pas lors de la deuxième phase de la compétition. Le débat sur les très controversées « retombées économiques » ne sera pas tranché, même si elle susciteront d’autant plus de doutes que les coûts auront été considérablement alourdis par la gestion de la sécurité et du maintien de l’ordre.
Pour autant, on dispose d’ores et déjà de suffisamment d’éléments pour remettre en cause les principes qui régissent aujourd’hui l’organisation des grands événements sportifs, dont la démesure est moins que jamais soutenable économiquement et acceptable socialement. Ces compétitions ont tant d’implications publiques que leur organisation ne doit plus échapper à un véritable débat et à de véritables consultations citoyennes – ne serait-ce que pour opposer aux organisations sportives un contre-pouvoir que n’exercent plus les élus et les pouvoirs publics, ni la plupart des médias. Il faut justement espérer que l’Euro 2016 contribue à une réflexion sur la candidature aux JO 2024 dans laquelle Paris s’est lancé sans beaucoup plus de débat que la France, il y a sept ans, lorsqu’elle a postulé au championnat d’Europe dans lequel nous sommes actuellement plongés.
[1] Les qualifications elles-mêmes perdent de l’intérêt, les sélections majeures ayant plus de marge pour se qualifier. Parmi elles, seuls les Pays-Bas manquent à l’appel.