L’incident a été remarquablement peu commenté, en dépit – ou plutôt en raison – de ce qu’il implique. Le 23 octobre, à la 39e minute du derby de Gênes entre la Sampdoria et le Genoa, une tête de Silvestre a frappé la barre avant de rebondir assez nettement devant la ligne. Quelques secondes plus tard, l’arbitre Paolo Tagliovento a toutefois interrompu la partie pour se diriger vers le quatrième arbitre. On apprendra plus tard que toutes les montres connectées à la GLT (Goal Line Technology), sauf la sienne (soit six sur sept), avaient vibré, indiquant que la balle avait franchi la ligne. Après quelques minutes de confusion, l’arbitre n’a pas validé le but et à la pause, un officiel est allé tester le système. Par la suite, la Ligue italienne a évoqué… « une sorte de court-circuit ».
UNE FAILLE DANS LE SYSTÈME ?
En d’autres termes, l’arbitre central a dû se fier à son propre jugement pour désavouer la technologie qui, précisément, doit l’assister pour pallier ses limites humaines et est censée livrer un jugement infaillible. L’incident est d’autant plus embarrassant que le bug n’est pas survenu de manière totalement inopinée alors que le ballon circulait loin des buts, mais sur une action susceptible de justifier l’usage de la GLT. Laissant penser que cette proximité du ballon avec la ligne a contribué au déclenchement de l’alerte. L’invocation d’une « sorte de court-circuit » ne peut constituer ni une explication décente, ni une manière de clore le dossier.
À Gênes, la GLT aurait donc pu être à l’origine d’une grave erreur d’arbitrage, une de ces erreurs qui ont contribué légitimer le recours à ce système, s’agissant de savoir si oui ou non le ballon a entièrement franchi la ligne – probablement la moins tolérable des erreurs d’arbitrage. L’incident n’est pas négligeable. D’abord, aussi isolé soit-il a priori, il crée une jurisprudence notable : un arbitre peut donc déjuger le système, contrairement au principe même du système. Ensuite, la quasi-infaillibilité de ce dernier est mise en cause par cette approximation grossière. Or, cette quasi-infaillibilité a à la fois constitué l’argument de vente de la GLT et fondé sa légitimité.
Un autre fait de jeu avait soulevé des interrogations en Italie, lors d’un Empoli-Vérone de la 9e journée, le 23 octobre. Les joueurs du Chievo contestèrent un « no-goal » sur une tête de Gamberini. Francesco Centini, spécialiste de l’arbitrage dans la Gazetta dello Sport, assure que l’image de la GLT montrait que seulement 7% de la circonférence de la balle n’était pas rentrée, une proportion qui s’inscrit à l’intérieur de la marge d’erreur du système (HawkEye en Serie A)… Le journaliste dit de la GLT que si elle fournit une réponse, on ne peut garantir qu’elle soit toujours correcte. « À prendre comme un acte de foi », résume-t-il.
DU FLOU SUR LA LIGNE
Un incident d’une autre nature lors de Marseille-Lyon, le 18 septembre dernier, a lui aussi suscité quelque perplexité. L’animation en images de synthèse a montré un ballon ayant franchi à moitié la ligne, alors que sur les images vidéo, il semblait avoir (au moins) presque entièrement franchi celle-ci.
Le décalage flagrant entre l’image virtuelle et l’image filmée a jeté le doute sur l’exactitude de la GLT, alors que le système retenu en Ligue 1, Goalcontrol, prétend à une marge d’erreur n’excédant pas un centimètre et que « le système de replay de la GLT se base sur le moment où le ballon est le plus proche de l’intérieur du but », selon Carlo Murinni. Le directeur général de Goalcontrol France a aussi invoqué un effet de perspective qui apparaît en l’espèce bien peu crédible.
Les autres explications avancées ici et là ont oscillé entre ésotérisme et sophismes. « C’est un système qui a fait ses preuves, c’est cartésien », voulut croire Joël Quiniou, ancien arbitre et consultant pour RMC. « Ce qu’on a vu n’est pas la réalité et c’est pour cela qu’on a eu un doute », ajouta-t-il avant de nous inviter à l’acte de foi évoqué par Francesco Centini : « Je ne le sais pas si ce système est fiable à 100%, mais tant qu’on n’a pas la preuve qu’il est faillible, il faut lui faire confiance ». Étrange inversion : le système n’est-il pas censé avoir déjà fait la preuve de sa fiabilité ? En définitive, comment ne pas craindre qu’un jour, un but soit validé (ou refusé) alors que des images établiraient qu’il n’aurait pas dû l’être (ou dû l’être) ?
UNE BRÈCHE DANS LA CONFIANCE
L’absence de réaction et de suite donnée aux incidents de Marseille et Gênes s’explique avant tout par la confiance de principe accordée aux dispositifs parés d’une aura de technologie et de scientificité – même si le terme de magie semble parfois plus indiqué. En outre, la remise en cause de la GLT embarrasserait presque tout le monde : les instances qui l’ont adoptée avec enthousiasme, les médias qui l’ont vantée et appelée de leurs vœux, les amateurs de football qui l’ont majoritairement cautionnée… tous auront de la peine à se désavouer[1].
Mais une faille est peut-être d’ores et déjà ouverte dans la confiance accordée à la GLT. Vont s’y engouffrer les théories du complot, mais aussi de légitimes doutes sur son efficacité. Or si la croyance en l’instrument est ébranlée, il risque d’apparaître pour ce qu’il est : très coûteux[2], rarement utile et, finalement, incapable de lever les doutes. « Goal Line Technology ou pas, le ballon, pour moi, est rentré », avait déjà twitté un journaliste lors de OM-OL. Après l’acte de foi, la motion de défiance ?
Au nom des enjeux mêmes qui avaient été invoqués pour appeler la GLT, il serait logique de mener des investigations afin d’établir précisément ce qui a causé le bug de Gênes et un décalage comme celui de Marseille. Afin d’éviter que de tels incidents se reproduisent et, si le mal est plus profond, de réévaluer la fiabilité de l’outil. Il y joue sa crédibilité.
Merci à Stanislas Touchot, dont la contribution à cet article a été précieuse.
[1] Aux Cahiers du football, opposants notoires à « l’arbitrage vidéo », nous nous sommes toujours déclarés en faveur d’un système de validation du franchissement de ligne, à condition qu’il soit instantané et fiable.
[2] 200.000 euros par stade et par an, en Ligue 1.