Lecteur, la saison 2 s’achève sur des rencontres géniales qui vont me convaincre que je tiens le bon bout, qu’il est temps pour moi de dépasser ces craintes qui m’agitent et de reprendre le goût d’écrire.
Des fées se penchent sur mon berceau.
Alors que je me languis, empêtrée dans mes pérégrinations d’auteur en herbe, une idée bondit, qui avec le temps va se révéler formidable. Eh oui, il est nécessaire parfois de reconnaître la part de génie qui sommeille en nous. Comme dit la chanson, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Brusquement, j’en ai marre d’entendre et de lire toutes les bêtises véhiculées sur les entrepreneurs que l’on affuble de tous les péchés du monde. Je n’ai pas été banquière pour rien et j’en fréquente des wagons dans les réseaux où je me baguenaude. À écouter ces fadaises, une question me taraude : les gens savent-ils que leur boulanger, leur cafetier, leur coiffeur, leur plombier en font partie ? Probablement pas.
Dans un grand désir de m’aérer les méninges, je décide d’aller à la rencontre de tous ceux qui ont choisi cette aventure pour les faire témoigner de leur histoire et raconter particulièrement ce qui les a amenés à sauter le pas. Il n’est pas question de détailler business plan ou discussions avec le banquier, mais d’évoquer leur âme, leurs convictions, la manière dont ils ont vécu « intérieurement » cette expérience. Dans ma rédaction, je consignerai exactement leurs propos, en restituant le plus fidèlement possible leurs mots et leurs phrases tout en conférant une cohérence au texte. La philosophie sous-jacente est de faire partager leurs tribulations à ceux qui envisagent l’entreprenariat. Ces articles fourniront la matière à une rubrique nouvellement créée dans mon blog : « Un entrepreneur nous est conté ».
Et c’est parti. Je secoue mon carnet d’adresses et en tombent des volontaires emballées. Premier constat et non des moindres : aucun homme ne se présente. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi. Peut-être ont-ils peur d’exposer leurs fragilités ? En revanche, l’exercice ne pose aucun problème à la gente féminine. Je ne m’entretiendrai donc qu’avec des femmes, ce que je ne regrette pas le moins du monde car je me suis délectée. J’en rencontre de tous âges, de tous horizons, unies par ce point commun d’avoir choisi d’entreprendre. Le résultat est prodigieux. Elles jouent merveilleusement le jeu et surtout me font confiance. Elles me relatent souvent des trucs extrêmement personnels. Nous plongeons dans des souvenirs d’enfance, des liens avec leur famille et leurs parents, elles me révèlent des souffrances. Elles se remémorent leurs victoires, leurs joies et leurs atermoiements. Elles répondent ainsi à cette sempiternelle interrogation que tout le monde a sur les lèvres : comment ont-elles fait?
Grâce à elles, je réalise qu’il n’y a aucune magie. Aucune ne s’est levée un matin en décrétant : j’ouvre une garderie, je deviens free-lance, je me lance dans la location de vêtements haut de gamme. Un parcours, professionnel et personnel plus ou moins long, marqué parfois de ruptures - licenciement ; maternité ; divorce - les a conduites progressivement à cette évidence qu’elles voulaient « autre chose ». Sans forcément en analyser les causes. Autre révélation : est-il nécessaire de toujours tout comprendre ? Leur intuition leur commandait ce nouveau départ afin de renouer avec leurs valeurs profondes ou simplement ne pas passer à côté de leur vie et cette motivation était suffisante même si la peur rôdait.
Néanmoins, une fois l’inspiration en marche, la solution n’est pas immédiate. Certaines ont su instinctivement ce qu’elles allaient choisir, dans l’évolution logique d’un métier précédent, d’autres ont détecté une opportunité dans le marché en créant un service qui n’existait pas. Beaucoup ont cherché et n’ont pas ménagé leurs efforts pour arriver à ce qu’une petite musique vibre et qu’elles formulent un plan dont en réalité aucune n’est sûre. Munies de cette évidence : « Pour une fois que je veux faire quelque chose » ou « La vie est courte » ou « Je veux être le metteur en scène de ma vie », elles sont allées au charbon.
Bien souvent il leur faudra atteindre le but fixé à l’issue d’une phase de mise en œuvre compliquée et laborieuse pour toucher du doigt le bien-fondé de leurs décisions.
Elles se sont joyeusement exclamées, pour mon grand bonheur : « C’est encore mieux que ce que j’imaginais », « Je m’éclate même si l’entreprenariat n’est pas une promenade de santé », « Je suis à ma place » ou « C’est encore plus facile que ce à quoi je pensais ». Elles ont accepté le risque dans son étendue, l’inconnu dont l’enjeu est la réussite et l’échec. Elles ont appris pour elles-mêmes : « La surprise est l’épreuve du vrai courage », en se découvrant au travers de leur démarche.
À les écouter, je suis éblouie. Ces femmes qui incarnent pleinement leur projet, écrivent un scénario dont elles jouent le rôle principal. Sans cette dimension, elles seraient incapables de trouver l’énergie, le brin de folie ou la part d’inconscience qui les conduit à s’adapter tous les jours à l’adversité de l’entreprenariat.
Ces conversations me galvanisent et me renvoient insidieusement à mon impuissance. Je finis par me sentir ridicule devant ces nanas qui rament, qui sont probablement submergées d’angoisses, qui ont décidé de s’endetter, d’embaucher, de retourner faire des études. Leur audace me secoue. Qu’est-ce que je fabrique avec un petit manuscrit inachevé qui se morfond dans un sac en plastique, telle la Belle au bois dormant ? Quel péril me guette ? Pas grand-chose, en tous les cas pas celui de la mort.
Il est grand temps d’achever ce projet un peu zinzin et d’aller au bout du processus de l’écriture d’un livre. Je ne pourrai pas me reprocher d’avoir jeté le gant sans essayer. Ainsi vais-je faire mon intéressante et transcender « Pour qui je me prends ? ».
Grâce à toutes ces fées à qui je rends hommage, Julia Cameron et ces entrepreneuses magnifiques, l’Hélène que je suis est allée enfin récupérer son texte.
Hélène de Montaigu
Pour qui je me prends? ou les tribulations d'un apprenti auteur