Cette Étude de Gérard Bouchard, historien et sociologue, préfacée par Pascal Lamy, est un plaidoyer en faveur de l'Union européenne (UE), tout en critiquant des choix fondateurs qui entravent désormais son développement.
Selon l'auteur, les pionniers de l'UE et leurs successeurs ont notamment fait le choix malheureux de se méfier globalement des nations et des peuples, et de les contourner en optant pour un processus de gouvernance par le haut. Pour briser ce cercle vicieux, l'UE doit trouver un moyen de se réconcilier avec les nations afin de mettre un terme à une tension nuisible de longue date, de tirer profit des ressources symboliques et de l'énergie toujours considérables des nations, plutôt que de les contraindre, et de créer des fondements pour bâtir de nouveaux mythes européens.
Cette Étude vise à démontrer que l'UE doit redéfinir ses relations avec les nations (en tant que configurations de culture, à ne pas confondre avec les États), en partant du principe que toute forme de lien social, si ténu qu'il soit, doit reposer sur certains fondements symboliques communs.
La première partie de cette étude rappelle les choix culturels fondateurs qui ont permis à l'UE de voir le jour et de connaître une évolution rapide après la Seconde guerre mondiale.
Sa deuxième partie vise à démontrer dans quelle mesure ces choix peuvent être mis en relation avec les grands obstacles auxquels l'UE est confrontée aujourd'hui : après avoir donné de l'élan à l'UE, la plupart de ces choix fondateurs sont devenus quelque peu nuisibles, essentiellement du fait qu'ils n'ont pas été révisés et adaptés à l'évolution du contexte politique.
L'Étude examine ensuite les tentatives infructueuses de l'UE au cours des dernières décennies pour créer de nouveaux mythes et une identité européenne. Elle évoque enfin de nouveaux moyens de créer de futurs mythes, essentiellement dans le cadre de ce que l'auteur appelle une "européanisation" des mythes nationaux. L'objectif est de bâtir des mythes qui trouveront une résonance à la fois aux niveaux national et européen. En d'autres termes de créer une véritable voix européenne avec de solides échos nationaux.
Avant d'autres, peut‐être, nous avions compris, à l'Institut Jacques Delors, aux temps où il s'appelait " Notre Europe ", que le rêve des pères fondateurs des années cinquante du siècle dernier ne s'accomplirait pas tel quel : ils avaient placé trop d'espoir dans l'alchimie qui devait transformer le plomb de l'intégration économique, celle des intérêts bien compris, en or de l'union politique, celle d'un demos européen.
C'est ici que la formule apocryphe souvent prêtée à Monnet prend sons sens : " Je recommencerais par la culture ". Se non è vero è ben trovato !
Un ingrédient essentiel de toute construction politique a en effet manqué, jusqu'à présent, à la construction politique de l'Europe : la dimension imaginaire, symbolique, culturelle, celle qui cimente les appartenances. Pour employer les grands mots des sciences sociales : un déficit émotionnel, qui trouve sa source dans un déficit fictionnel. D'où une série de recherches entamées dans les années 2000 principalement par Aziliz Gouez, et dans la suite desquelles le travail de Gérard Bouchard que l'on trouvera ici trouve sa place. Une série de démarches d'inspiration anthropologique qui tente d'aborder la difficile question de l'identité des Européens à partir de la réalité de leurs mœurs, de leurs habitudes, de leurs rêves et de leurs cauchemars, souvent révélée dans les " limes ". J'approuve entièrement Gérard Bouchard dans son plaidoyer pour construire un mythe qui parle à l'imagination des Européens, de sorte que la raison et l'émotion se conjuguent enfin pour emporter l'adhésion des opinions au projet d'intégration européenne. Pour autant, je ne le suis pas dans tous ses développements. Je crois en effet qu'il met un accent excessif, dans la " mythologie " originelle telle qu'il la décrit, sur un récit anti‐national, alors qu'il s'agissait d'abord, à mon sens, d'un récit anti‐ guerre, celui qui habitait les esprits à l'époque. Mais il a raison, et c'est l'intérêt principal de sa thèse, lorsqu'il démontre l'inanité anthropologique de la devise " L'unité dans la diversité ", et surtout dans la quête, qu'il prescrit, d'un récit européen qui ne se situe pas contre les récits nationaux, mais au contraire puise dans le réservoir de leurs ressources symboliques.
Reste à inventer le mode d'emploi de la démarche que prône Gérard Bouchard en allant au-delà des valeurs qui ne sont pas des mythes. À commencer par la connaissance, par les Européens, de leurs mythologies respectives. À faire les premiers pas vers une identité européenne qui se construise par la connaissance, d'abord, puis la compréhension de ce qui fait celle des autres, qui est la bonne manière d'aborder les différences. D'où nos efforts, à l'Institut Jacques Delors, pour initier la création de chaires d'anthropologie européenne, sur le sol européen ou ailleurs. Gérard Bouchard, comme à d'autres moments Stanley Hoffmann ou Elie Barnavi, nous montre en effet que le regard académique non- européen sur l'entreprise européenne est souvent plus perçant, plus lucide, et donc plus utile que le nôtre.
Pascal Lamy President emeritus de l'Institut Jacques Delors
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