Il y a bien Guernica, mais aussitôt après Adenauer et Schuman, pour compenser. Un peu de guerre, quelques cimetières, mais ni Hitler, ni Staline ne semblent avoir existé, Auschwitz et Srebrenica non plus (ah pardon, le second n’est pas en Europe, dans cette Europe, j’oubliais). Pour faire bonne mesure, on montre de bien belles universités (surtout pas Paris VIII) et on ajoute un zeste de contestation, Marcuse et Gay-Lussac. Il y a quelques immigrés et quelques féministes, quand même, et même des syndicalistes en grève (anglais, pas nos cheminots) dans une économie du charbon et de l’acier (nouvelles technologies, quelqu’un ?). On nous prévient d’emblée : ce sont des images d’Europe, pas une histoire de l’Europe. C’est passer bien discrètement sur les critères de choix de ces photos. Ceci dit, même avec un caractère convenu et une reproduction trop ‘moderne’*, il y a ici de très belles photos; en voici simplement une, de
Vincenzo Balocchi, vers 1950 (
Sienne, Retour des champs, en haut de la page).
Le plus intéressant est la seconde partie où chaque pays a proposé (via son ambassadeur à Bruxelles, si j’ai bien compris) quatre photos représentatives du pays, dont une a été plus particulièrement mise en valeur. Tenter de décoder ces choix est un exercice amusant. Beaucoup des ‘vieux’ pays ont mis en avant leurs grands hommes, Andersen, Brancusi, Virginia Woolf, Albert 1er, Marie Curie, Freud et même le groupe Cobra et les deux photographes hongrois exilés, Brassaï et Kertész. D’autres affichent leurs atouts, économiques ou naturels, le port de Malte, la sidérurgie luxembourgeoise, le superbe pont de
Porto en construction, l’enseigne Ikea, une soufflerie à Limerick ou un paysage finlandais. Rien de très étonnant.
L’étonnement vient de quelques pays courageux qui n’hésitent pas à revisiter leur histoire, et ce sont les quatre photos que je vous montre ici de haut en bas. Les Tchèques ont sélectionné l’entrée des troupes allemandes à
Prague en 1939, une photo géométrique, pyramidale, infinie, aux lignes pures et menaçantes. L’Espagne présente un champ de ruines, la cité universitaire de Madrid après la guerre civile (1939), un terrain vague d’où la culture a été éradiquée. La Lettonie montre la destruction d’un clocher à
Riga par les bombardements russes en 1941, effondrement filmique au ralenti, dirait-on (photos de
Vilis Ridzenieks, Musée de Riga, ci-contre). Et la Slovaquie a choisi cette superbe photo par
Ladislav Bielik d’un homme la poitrine nue face aux chars russes à Bratislava le 21 août 1968: vingt ans avant Tien An Men, un symbole de résistance (archives Bielik, ci-dessous).
Mais, globalement, on ressort de cette exposition somme toute plus documentaire et politique qu’artistique avec un sentiment de malaise, une overdose de bons sentiments, comme un remake de
‘The Family of Man’. Il y a même Jean-Paul II quelque part; ne manque à l’appel que l’abbé Pierre (il n’est pas loin, sur les grilles du jardin, dans l’expo FigMag).
On sort dans le jardin et on se retrouve face à un Combas particulièrement repoussant. Argh !
Quant à mon titre, c’est une citation du Général de Gaulle le 14 décembre 1965 : “On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !” mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien.”
* sur l’importance de la reproduction / numérisation et son rapport à l’histoire, lire, dans le contexte de l’exposition Zucca, ce billet.
Les photos 1, 2 et 3 proviennent des Archives Alinari ou du Musée Fratelli Alinari à Florence.