« Welcome attitude ». Anne-Laure Joumas, directrice marketing de Carmila, le promoteur immobilier de Carrefour, explique que le grand groupe « a décidé d’investir massivement », car « le client a besoin d’une offre adaptée à ses besoins ». Avec le sourire, sur un ton enjoué, la responsable présente les « centres commerciaux de troisième génération », qui répondent à « un marketing du lieu », se transforment en « place to be » et diffusent une « welcome attitude », tout cela dans une « architecture assez réussie ». Résultat, « le client vit une très belle expérience ».
Discours mielleux. « Le groupe Carrefour dispose de la plus grande base de données en France. Nous pouvons toucher le consommateur en lui envoyant une information qualifiée », insiste Mme Joumas, toute à son apologie du client-roi, pourvu qu’il soit dépensier. La responsable du marketing poursuit sa description chaleureuse, vantant ce « consommateur qui a plein de choix, qui fait ce qu’il veut, entre Uber Eats, Deliveroo, le drive de Carrefour et le libraire du quartier ! » Elle ajoute, surjouant son enthousiasme : « je pense que dans la salle nous sommes tous d’accord ! »
Mais cela ne convainc toujours pas le représentant de Jeff de Bruges. « On crée toujours plus de surfaces. La rentabilité, où va-t-on la trouver ? » interroge-t-il, soulignant les conséquences de cette fuite en avant sur le territoire. « Le centre-ville régresse, on se fait livrer tous les jours, on ne rencontre plus que son postier », regrette-t-il.
Un rapport remis au gouvernement. Jeudi 20 octobre, la secrétaire d’État au commerce, Martine Pinville, recevait justement un rapport consacré à la « revitalisation commerciale des centres-villes ». Élaboré par l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), ce document de 471 pages (à télécharger ici) détaille les enjeux et propose des mesures. Toutefois, interrogée à l’issue de cette cérémonie, la secrétaire d’État ne semble pas convaincue qu’il faille arrêter de construire de nouveaux centres commerciaux. « Il faut regarder, dans les villes moyennes les plus touchées, comment on peut s’adapter », dit-elle très prudemment. Pas de quoi faire trembler Carmila.
En d’autres termes, on ne construit pas seulement des centres commerciaux « place to be » et « welcome attitude » chers à Carmila, mais aussi des centaines d’hectares de parkings, de rocades et de voies d’accès. Car on accède à l’hypermarché, en grande majorité, en voiture individuelle. Parce que toute la ville est organisée pour cela. Et si ce point n’est jamais abordé, c’est qu’il est considéré comme évident, allant de soi, intangible. Le point aveugle du raisonnement : celui qui se trouve juste devant les yeux et qu’on ne peut pas voir.
Les clients veulent de l’espace. Une étude publiée récemment, peu médiatisée, confirme, après de nombreuses autres allant dans le même sens (récapitulées ici), le décalage de perception entre les commerçants et leurs clients. A la demande de la métropole de Rouen, le cabinet Bfluid a demandé aux commerçants rouennais (ici, pages 70-71) quels étaient les principaux freins au shopping. 50% à 78% d’entre eux ont répondu : « pas assez de stationnement ».
Puis on a posé la même question à leurs clients. Entre 20 et 22% ont répondu, comme les commerçants, que le manque de stationnement constituait le principal frein. Les autres ont évoqué le bruit et la circulation, les obstacles sur les trottoirs, le manque d’espace pour marcher… Alors, pourquoi investir dans les centres commerciaux ? Oui, pourquoi ? Alors qu’il suffirait d’investir dans des trottoirs.
La crise urbaine, les épisodes:
Au pays des villes mortes (janvier 2016)
La ville qui ne voulait pas mourir (septembre 2012)
Ces nouveaux maires qui réintroduisent la voiture en ville (juillet 2014)
Dans les villes moyennes, le retour de la voiture n’est pas une fatalité (octobre 2015)
Les villes moyennes face au syndrome des bus vides (mars 2016)
Un an sur son vélo, à la recherche de la « vraie France » (juillet 2016)
NDDL: les électeurs veulent du béton (juin 2016)