Il y a quarante ans à peine, des centaines de ces rats gambadaient sur Bramble Cay, une minuscule île inhabitée, située dans le détroit de Torrès qui sépare l’Australie de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le mammifère, découvert par des Européens en 1845, était le seul endémique de la Grande Barrière de corail. Il évoluait uniquement sur cet îlot sablonneux, long de 340 mètres et large de 150 mètres, qu’il partageait avec des oiseaux marins et des tortues vertes.
Mais depuis 2009, l’animal n’a plus montré le bout de son museau. En 2014, une équipe australienne entreprend alors de retrouver sa trace. Du 29 août au 5 septembre, 900 pièges à mammifères sont posés, ainsi que 60 appareils photos à déclenchement automatique. Le rongeur reste introuvable.
Inondations
En cause, selon les experts : l’élévation du niveau de la mer et la survenue d’événements météorologiques extrêmes plus intenses et plus fréquents ces dernières années, en raison du changement climatique. « Le facteur clé responsable de l’extinction de cette population est, de manière quasi certaine, les multiples inondations de l’île au cours de la dernière décennie, provoquant une perte d’habitat dramatique et peut-être aussi une mortalité directe des individus », explique Luke Leung, de l’université du Queensland et coauteur de l’étude.
La superficie de cet îlot, qui ne culmine qu’à trois mètres au-dessus du niveau de la mer, est passée de 4 hectares en 1998 à 2,5 ha en 2014, sous l’effet de l’érosion du vent, des vagues et des marées. En outre, la végétation herbacée, qui fournit à la fois la nourriture et un abri pour les melomys, s’est considérablement réduite, perdant 97 % de sa superficie en dix ans.
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) confirme que le rongeur serait la première espèce de mammifère à succomber au changement climatique. « Aucun mammifère n’a à ce jour été répertorié comme disparu, sur notre Liste rouge des espèces menacées, en raison du changement climatique, avance Jamie Carr, du Programme mondial des espèces de l’UICN. Nous nous attendions malheureusement à ce que cette situation change. »
En 2015, l’UICN avait attribué notamment au réchauffement climatique la disparition du Geocapromys thoracatus, ou rat de Little Sawn Island, un autre rongeur, cette fois d’un atoll corallien du Honduras. Mais il était apparu qu’un chat introduit sur l’île était le principal responsable de cette disparition.
« Peu d’espèces sont seulement menacées par le changement climatique : elles sont le plus souvent soumises à des pressions diverses, analyse Franck Courchamp, écologue et directeur de recherches au CNRS. Reste qu’avec la hausse des températures mondiales, on peut craindre que l’exemple de ce rongeur soit le premier d’une longue série. Selon nos calculs, 10 000 îles pourraient être totalement submergées d’ici à la fin du siècle en raison de la montée des eaux. »
« Le changement climatique menace de nombreuses espèces, comme l’ours polaire, le renard arctique ou le phoque annelé, mais on ne connaissait pas encore de cas où il a joué un rôle déterminant dans leur disparition, car le réchauffement est une menace plus récente que d’autres impacts humains », complète Florian Kirchner, chargé de mission espèces menacées à l’UICN France.
6e extinction
Destruction de l’habitat naturel, surexploitation, introduction d’espèces invasives, pollutions… On estime que la biodiversité s’érode, sous la pression des hommes, à une vitesse plus de dix fois supérieure au rythme « naturel » des extinctions d’espèces. Pas moins de 130 000 espèces animales connues, soit environ 7 % de la biodiversité terrestre répertoriée, auraient été déjà rayées de la carte depuis le XVIIIe siècle, dans la plus grande discrétion pour l’écrasante majorité, selon une étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences en juin 2015. Une extinction de masse – la sixième –, qui s’est déjà accélérée et va encore s’aggraver du fait de la crise climatique.
Une espèce sur six – soit des millions au total – est menacée de disparaître d’ici à la fin du siècle sur tous les continents en raison du changement climatique, d’après une autre étude parue dans la revue Science en mai 2015. La hausse des températures va en effet forcer les espèces à migrer en altitude ou vers le nord, pour trouver des conditions plus favorables. De quoi bouleverser les écosystèmes et, surtout, sacrifier les plus vulnérables ou immobiles – comme les coraux ou les animaux des îles.
Il reste malgré tout un espoir pour les melomys de Bramble Cay. L’espèce pourrait avoir gardé un proche parent dans le delta de la rivière Fly, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont on suppose qu’elle serait originaire. Un postulat qui devra être confirmé par de nouvelles analyses. D’ici là, l’équipe de M. Leung préfère rester prudente – comme tout bon scientifique – en affirmant qu’« il peut être prématuré de déclarer le rongeur éteint à l’échelle mondiale ».
Audrey Garric
Photos : université du Queensland
>> Me suivre sur Facebook : Eco(lo) et sur Twitter : @audreygarric
>> Lire mes autres articles sur le site du Monde