Il est installé sous des dizaines de néons bleus, exposé aux selfies des touristes, dans un petit enclos à l’hygiène douteuse ; de quoi lui donner le surnom de « l’ours polaire le plus triste au monde » dans la presse. Les conditions de captivité de Pizza, détenu dans un parc à thème au sein d’un centre commercial de Canton, dans le sud de la Chine, suscitent l’indignation sur les réseaux sociaux et dans les médias. Animals Asia, une association de défense des animaux, a lancé une pétition en ligne pour fermer le parc, qui a déjà reçu plus de 430 000 signatures. Le directeur de l’établissement, contraint de rencontrer l’ONG sous la pression de l’opinion publique, a promis « une meilleure vie et des améliorations pour ses animaux » – notamment des bélugas, des morses ou encore des renards arctiques.
(Source : Animals Asia sur Vine)
En réalité, Pizza est loin d’être le seul ours polaire à subir des conditions de captivité contraires à ses besoins physiologiques. L’Association mondiale des zoos et aquariums (WAZA), qui chapeaute 300 établissements, comptabilisait 180 ours polaires captifs dans le monde en 2009. L’un d’entre eux, Arturo, un mâle détenu à Mendoza en Argentine, décédé le 3 juillet, avait déjà été surnommé « l’ours polaire le plus triste au monde ».
La France enregistre, elle, dix Ursus maritimus dans des enclos : trois au zoo de Mulhouse (Haut-Rhin), trois au Marineland d’Antibes (Alpes-Maritimes), deux au zoo de La Palmyre (Charente-Maritime) et deux au zoo de La Flèche (Sarthe) – dans lequel des « Arctic lodges » de luxe permettent d’observer les plantigrades depuis une « large baie vitrée panoramique » accolée au bassin.
Conditions impossibles à reproduire
« Les ours polaires ne peuvent pas vivre dans des zoos, assure le géographe Farid Benhammou, coauteur de Géopolitique de l’ours polaire (Editions Hesse) avec Rémy Marion. Ce sont des animaux qui ont besoin de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres par jour et des milliers à l’année. Le milieu arctique dans lequel ils évoluent est très varié, entre la mer, la banquise, la terre ferme, les steppes ou les rocailles. Surtout, l’eau reste très froide, au maximum 5 °C l’été. »
Des conditions impossibles à reproduire en captivité. Le Marineland d’Antibes, par exemple, se targue d’avoir investi 3,5 millions d’euros pour créer un « espace de 2 200 m² » pour ses ours polaires (ce qui équivaudrait à 47 x 47 m si l’enclos était carré), « l’un des rares en Europe à être alimenté en eau de mer, filtrée et maintenue à 14 °C toute l’année », selon son site Internet. Résultat, pour le géographe, beaucoup d’ours deviennent névrotiques et montrent des comportements stéréotypés dans les zoos.
A ces critiques, les zoos assurent, de leur côté, jouer un rôle de conservation des espèces menacées et d’éducation et de sensibilisation du public. « Avec l’intégration de cette espèce, Marineland marque son engagement pour la conservation des espèces menacées, indique l’établissement. C’est avec une volonté de sensibilisation à la biodiversité et à la fragilité de son équilibre que le parc a décidé de diversifier son patrimoine animalier. »
Des arguments balayés par de nombreux experts et associations. En 2012, après enquête de trois ans dans 21 pays, la Born Free Foundation présentait au Parlement européen un rapport montrant qu’une majorité de zoos d’Europe manquaient à leurs obligations légales, tant pour la conservation des espèces et l’éducation du public que pour le bien-être des animaux.
« Les zoos se sont emparés de ce concept d’animal menacé, voire en voie de disparition, pour drainer vers leurs parcs le maximum de public, juge Farid Benhammou. Leur présence, et la mise en scène des naissances sont des opérations essentiellement mercantiles. »
Une réintroduction qui ne fonctionne pas
Surtout, la réintroduction d’animaux captifs dans leur milieu naturel n’a jamais vraiment fonctionné, à quelques exceptions près (le vautour fauve en France, les bisons d’Amérique et d’Europe et le cheval de Przewalski, en Asie et en Europe). « La réintroduction est un leurre, juge Eric Baratay, professeur d’histoire à l’université de Lyon et spécialiste de la question animale. En raison du phénomène de dérive génétique, les animaux qui sont en captivité depuis plusieurs générations ne ressemblent plus à leurs ancêtres sauvages et vont donc avoir énormément de mal à se réinsérer. D’autant que l’on n’est souvent pas parvenu à préserver leur milieu naturel. »
C’est bien là tout le paradoxe de l’histoire. Les zoos dépensent des sommes faramineuses dans des programmes destinés à la reproduction et la réintroduction d’espèces sauvages, quand la priorité est d’empêcher la destruction de leurs espaces naturels, sous l’effet du changement climatique, de la déforestation ou de l’urbanisation.
La survie de l’emblématique ours polaire est ainsi menacée en raison du recul de la banquise arctique entraînée par le réchauffement. La population d’Ursus maritimus, classée comme « vulnérable » sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), s’élèverait à 26 000 individus (entre 22 000 et 31 000) répartis en 19 sous-espèces, essentiellement au Canada, selon les dernières estimations de novembre 2015. Les effectifs pourraient baisser de 30 % d’ici à 2040 si rien n’est fait pour enrayer le réchauffement climatique. « L’ironie, relève Farid Benhammou, c’est que les installations réfrigérées des zoos qui détiennent des ours polaires consomment de l’énergie et donc génèrent les gaz à effet de serre qui détruisent l’habitat naturel de ces animaux et provoquent leur disparition. »
Le plus surprenant dans cette histoire est que les zoos sont encouragés à développer leur population par l’un des plus grands experts de l’ours polaire, l’Américain Steven Amstrup. Un scientifique à la fois membre du groupe des spécialistes de l’ours polaire auprès de l’IUCN, qui valide notamment les effectifs des populations de cette espèce, et directeur scientifique de la plus importante association dédiée à la protection des ours polaires, Polar Bear International, qui récolte des fonds en annonçant la fin prochaine de l’espèce.
Audrey Garric
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