« J’aime Mandela, il n’aime pas Mandela, nous ne sommes pas d’accord, mais ça va ». Emily Pitso, 70 ans, ne se disputera pas avec son petit-fils, Desmond. Dans la pièce commune de sa petite maison située dans la ville minière de Bekkersdal, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Johannesburg, elle l’écoute sans lui couper la parole (vidéo). Elle ajoute seulement que lui, « il a fait des études ».
Mais cette ancienne domestique qui prie pour que Nelson Mandela, à l’hôpital depuis 43 jours, se rétablisse au plus vite (« il ne doit pas mourir, ça me fait peur ») ne changera pas d’avis. « Il doit laisser Mandela tranquille, car Mandela, il était prêt à mourir pour nous ! ».
Elle rappelle l’époque du régime de l’apartheid. Quand tous les Noirs comme elle devaient obligatoirement avoir sur eux un laissez-passer (« pass »), quand les policiers la contrôlaient sans cesse pour vérifier si elle avait bien le droit d’aller ici ou là.
« Aujourd’hui, je ne travaille plus, mais je reçois une allocation retraite de la part du gouvernement [environ 100 euros par mois], c’est grâce à Mandela ». Devant elle sur la table, une machine à coudre qu’elle met en marche de temps pour améliorer ses fins de mois.
« Ma grand-mère associe Mandela avec la liberté à cause de son expérience sous l’apartheid, mais pour nous, la jeune génération, ce n’est plus le sujet, nous regardons comment nous vivons aujourd’hui » explique le jeune homme de 23 ans. « Et où est notre liberté économique ? »
« Mandela n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites. L’ANC avait une Charte de la Liberté disant que la terre devait appartenir au peuple, ce n’est pas le cas aujourd’hui, et il y a encore beaucoup d’inégalités, de nombreux Noirs sont toujours pauvres ».
« Le problème est que Mandela a été trop immortalisé, ma grand-mère le regarde comme un Jésus noir, notamment à cause de l’image renvoyée par les médias. Je ne pense pas qu’il soit un tel héros. Sinon, le pays serait dans un meilleur état. S’il était Jésus, il aurait accompli des miracles comme rendre complètement gratuit l’éducation ».
A la fin de ses études de communication et de marketing à l’Université de Johannesburg, Desmond devra rembourser 100 000 rands (7 000 euros). « Je n’ai eu droit qu’à un emprunt, les bourses, c’est pour les futurs ingénieurs ».
Il reconnaît tout de même qu’il sera le premier Pitso à décrocher un diplôme universitaire : « personne dans ma famille n’avait jusqu’à présent pu avoir accès aux études » mais « il y a encore trop de jeunes Sud-Africains qui ne peuvent pas se rendre à l’université ».
Lors des élections générales en avril prochain, Emily votera de nouveau pour l’ANC, le parti au pouvoir, car « ils sont là depuis 1912 alors que tous ces nouveaux partis sont arrivés après, je vais continuer à voter pour eux ! ».
Son petit-fils n’ira pas voter. « Le parti politique que Mandela représentait est le même qui, aujourd’hui, trompe les gens. On voit bien leurs dirigeants vivre dans le luxe avec leurs belles voitures alors que des Sud-Africains sont encore dans des bidonvilles ».
Desmond le confie. Il est l’un des rares Sud-Africains à oser remettre en cause l’icône nationale, même parmi sa génération qui n’a pas connu l’apartheid : « beaucoup de jeunes pensent comme moi, mais c’est mal vu de le critiquer en public ».
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« La priorité du gouvernement Mandela n’était pas la redistribution ». Une émission de RFI est récemment revenue sur les raisons du choix de Nelson Mandela au sortir de l’apartheid d’une politique économique libérale, et la controverse qu’il suscite encore aujourd’hui. En écoute ici.