Quelques heures après la diffusion de la vidéo, le procureur de la République d’Alès a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire, qui sera menée par la Brigade nationale d’enquête vétérinaire et phytosanitaire, en co-saisine avec la brigade des recherches de la gendarmerie du Vigan. L’abattoir a été fermé à titre conservatoire et le personnel suspendu jusqu’à nouvel ordre. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a, de son côté, « condamné avec la plus grande fermeté ces pratiques intolérables ».
Les images diffusées par L214 ont été tournées dans l’abattoir intercommunal du Vigan, une petite commune cévenole, entre juin 2015 et février 2016. On y voit des moutons violemment jetés contre l’un des enclos de l’abattoir ; des employés riant en électrocutant des cochons avec la pince d’électronarcose ou, plus tard, insistant jusqu’à les brûler ; des animaux mal étourdis, encore conscients lorsqu’ils sont suspendus puis saignés ; un porcelet qui se détache à plusieurs reprises de la chaîne d’abattage ; du matériel défaillant ou inadapté et des inspecteurs-vétérinaires absents.
La mort d’animaux d’élevage n’est jamais douce, mais elle est encadrée par une réglementation ayant pour but d’éviter toute souffrance inutile. Les abattages conventionnels (non rituels) prévoient un étourdissement des bêtes (à l’aide de pinces électriques pour les moutons et les cochons, et de pistolet à tige perforante pour les bovins) afin de leur éviter d’être conscientes au moment de leur mort. En cas d’échec, un second étourdissement doit être administré, ce qui n’est pas le cas sur les vidéos.
Infractions aux règlementations
Cette pratique est encadrée par le règlement européen du 24 septembre 2009, qui stipule que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes ». Il en est de même pour le code rural, qui prévoit que « toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrance évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort ». Des principes repris par le règlement européen du 28 juin 2007 encadrant les productions biologiques, dont le cahier des charges ne prévoit pas de spécificités pour l’abattage, si ce n’est du point de vue de la traçabilité.
Trois textes avec lesquels l’abattoir du Vigan est manifestement en infraction. « La projection d’ovins est un cas de maltraitance avérée, un cas gravissime qui doit faire l’objet de sévères sanctions professionnelles et judiciaires, juge Martial Albar, ancien inspecteur-vétérinaire d’abattoir, aujourd’hui consultant en sécurité alimentaire, mandaté par L214 pour établir un rapport. Les autres images sont révélatrices du fonctionnement standard des abattoirs en France [dans lesquels] les cas de maltraitance ou de négligence sont quotidiens. » L’expert regrette également « l’absence d’encadrement technique permanent des opérateurs permettant de s’assurer du respect des procédures ».
Vente directe et certification bio
Ce qui est plus étonnant, c’est que cet abattoir s’avère un petit établissement de proximité, spécialisé dans la vente directe et certifié bio par l’organisme Ecocert – même si seulement 5 % de sa production est issue de l’agriculture biologique. On y tue chaque année 250 bovins, 200 cochons et 6 000 agneaux, soit 240 tonnes de viande par an, à peine 6 % des quantités débitées à l’abattoir d’Alès. L’établissement emploie seulement trois salariés, et ses locaux, qui datent de 1985, ont été modernisés en 2010 et en 2014. Et pourtant, il ne respecte non seulement pas la réglementation en bio mais pas non plus les normes minimales communes à tous les abattoirs.
Commission d’enquête parlementaire
« Nous avons une image idyllique de la production bio. En réalité, il n’y a pas de mort bio ou de mort douce. La viande heureuse n’existe pas, argue Brigitte Gothière, porte-parole de L214. Il est temps de regarder en face et avec honnêteté la réalité de l’abattage des animaux, une réalité dont même les abattoirs à taille humaine et certifiés ne peuvent masquer la cruauté. »
L’association a déposé une plainte contre l’abattoir du Vigan, mercredi, devant le tribunal de grande instance d’Alès. Elle lance également une pétition demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les abattoirs. Fin octobre, après le scandale d’Alès, plusieurs sénateurs avaient déjà demandé la création d’une telle commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie. Quelques jours plus tard, 90 personnalités – Eva Joly, José Bové, Luc Ferry ou encore Michel Drucker – signaient un manifeste pour appuyer cette demande. Mais depuis, rien n’a avancé, l’abattoir d’Alès rouvrant même après deux mois de fermeture administrative, alors que l’enquête est toujours en cours devant le parquet d’Alès. « Quand le scandale retombe, tout le monde oublie, mais les animaux, eux, continuent de subir des actes de cruauté, relève Brigitte Gothière. On demande donc des contrôles dans tous les abattoirs pour que les normes soient, au minimum, respectées. »
Audrey Garric
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