« Oui, j’ai eu peur. Un bref instant, seulement. La mort, cette grande faucheuse, a rodé tout près de moi… Mais maintenant, je suis impatient de retourner au combat. J’ai l’impression qu’après ce miracle qui m’a fait échapper aux balles ennemies alors que mes camarades tombaient comme des mouches, il ne peut plus rien m’arriver. Je rêve de nouveaux assauts glorieux, de prochains élans libérateurs protégeant notre chère terre de France… » Charles de Gaulle fait retomber sa lourde tête sur son oreiller dans le grand dortoir des officiers de l’hôpital Saint-Joseph à Paris. Blessé d’une balle déchirant profondément le muscle arrière du genou et atteignant aussi le nerf sciatique, le 15 août dernier, en défendant Dinant face aux chasseurs saxons de la Garde, il a été opéré et entame sa convalescence.
Evacuation d’un blessé en 1914
Il poursuit son monologue : « Lors de l’assaut de la citadelle, à la tête de mes hommes du 33ème RI que j’avais su galvaniser, j’ai ressenti brusquement à la jambe une vive douleur, comme un violent coup de fouet. Immédiatement après, j’étais à terre, au milieu des corps de mourants, tressautants encore à l’impact de chaque nouvelle balle. J’ai pu me traîner jusqu’à l’entrée d’une maison et je ne dois de ne pas être prisonnier qu’au dévouement de certains civils et à la rapidité de nos médecins militaires. »
La bataille de Dinant où De Gaulle est blessé.
Charles me demande des nouvelles du Grand quartier général – GQG – de Joffre.
Je dois lui avouer qu’elles ne sont pas fameuses. En Belgique, nos pertes s’accumulent tragiquement et on estime que plus de 20 000 de nos hommes perdent la vie chaque jour. Nous devons reculer un peu partout face à un ennemi dont la stratégie et la tactique se révèlent plus efficaces que notre plan XVII. Trois armées allemandes menacent de nous déborder, à marche forcée, par le nord-ouest dans un immense mouvement associant troupes d’active complétées par des forces de réserve, en nombre beaucoup plus conséquent que prévu par notre état-major surpris et consterné.
Tactiquement, les Allemand savent mieux faire que nous des reconnaissances avant d’attaquer. Ils comprennent tout de suite le parti qu’ils peuvent tirer de l’aviation pour repérer les mouvements de nos régiments. Ils pilonnent aussi nos positions avec une artillerie plus efficace car mieux repartie au sein des différentes divisions. Notre doctrine de l’offensive à outrance – avec des fantassins en pantalon rouge garance de surcroît – se révèle souvent désastreuse face à des mitrailleuses judicieusement placées dans les replis de terrain. Nos généraux découvrent, pour la plupart avec stupeur, que « le feu tue » et dans des proportions que personne n’imaginait jusque-là.
Une offensive française : en terrain découvert, baïonnette au canon, en pantalon rouge…
Et quand nous devons battre en retraite, tout se fait parfois dans le plus grand désordre : nos officiers n’ont pas été formés pour reculer tout en gardant des lignes cohérentes.
Le gouvernement est furieux et j’ai rédigé un décret autorisant Joffre à relever de son commandement toute une série de généraux qui se montrent incapables voire complètement perdus face à des troupes germaniques pour l’instant fort bien commandées par Von Kluck, Von Bülow ou Von Hausen.
De Gaulle m’écoute avec attention. Il tire sur sa cigarette de longues bouffées voluptueuses et lâche : « Joffre se révèle redoutablement intelligent. Il est en train de virer toute une série de vieilles badernes galonnées et il pige vite. Les nouvelles consignes qui arrivent aux divisions montrent que nous nous sommes peut-être trompés mais nous apprenons dans des délais record. Nos offensives seront dorénavant mieux coordonnées d’une arme à l’autre et mieux préparées. Nous nous portons toujours en avant avec un courage et un moral qui ne se démentent pas… mais avec plus de prudence. »
Je me lève, sers la main et laisse le jeune lieutenant à ses considérations tactiques. Mon automobile m’attend pour rejoindre Joffre à son GQG actuellement installé à Bar-sur-Aube.
Poincaré s’estime en effet fort mal informé de ce qui se passe réellement sur le front et je dois donc faire le point dès demain matin avec l’état-major pour rapporter ensuite des nouvelles fraîches à l’Elysée.
Mon ami Charles de Gaulle en 1914
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