8 septembre 1914 : notre destin se joue maintenant !

Publié le 07 septembre 2014 par Billiskaya

Heures mouvementées, heures tragiques, heures d’espoir aussi.

Heures mouvementées : Le gouvernement a quitté Paris pour Bordeaux. Il s’est fendu d’une déclaration un peu verbeuse et pleine de contorsions expliquant que c’est normal qu’il quitte la capitale et qu’il ne faut pas s’inquiéter. Les Parisiens déboussolés voient les réfugiés belges et les habitants des départements français envahis, affluer, exténués, en région parisienne. Eux-mêmes essaient de fuir en se rendant dans les gares de Lyon, Saint-Lazare ou Montparnasse bondées où ne circulent plus que de rares trains. Un ami a mis plus de 40 heures pour rejoindre Caen. D’autres doivent compter plusieurs jours pour gagner Toulouse, Marseille ou Biarritz. Dans toutes les villes étapes pour aller vers le Sud, on loge ces pauvres Français devenus sans domicile, dans des hangars, des cafés, des mairies ou des granges. La France se serre les coudes.

C’est aussi le règne de la débrouille et de la rumeur. Le grand public ne sait pas que les Allemands sont à trente kilomètres de Paris mais il s’en doute en écoutant tout bonnement les témoignages de ceux qui fuient et sont refoulés vers la région parisienne. L’état-major refuse de publier la liste des départements envahis mais les gens qui marchent sur les routes se confient : chacun sent que les choses tournent mal.

Heures tragiques : Nous avons appris hier que mon cher ami, le lieutenant Charles Peguy est mort, tué le 5 septembre d’une balle en plein front près de Plessis-l’Evêque. Il s’élançait à la tête de sa section quand il a été fauché, prononçant, avant de tomber, cette phrase émouvante et dérisoire à la fois : « Oh mon Dieu, mes enfants… »

En apprenant la nouvelle de sa disparition, je me suis enfermé, seul, chez moi, les larmes aux yeux. Je suis resté ainsi toute une soirée, assis sur mon lit ou déambulant les yeux vides dans l’appartement, en pensant à cet homme droit et bon, cet écrivain magnifique qui ne reviendra pas.

Heures d’espoir aussi : J’ai proposé à Poincaré de rester à Paris, au Palais de l’Elysée déserté et d’assurer la liaison avec le GQG de Joffre à Bar-le-Duc et le gouverneur de Paris Gallieni.

J’ai aidé ce dernier à rédiger une déclaration un peu plus martiale que celles des ministres que j’évoquais plus haut. Cela donne :

 « Armée de Paris, habitants de Paris.
 
Les membres du gouvernement de la République ont quitté Paris pour donner une impulsion nouvelle à la Défense Nationale.
J’ai reçu le mandat de défendre Paris contre l’envahisseur.
Ce mandat, je le remplirai jusqu’au bout.
 
Paris le 3 septembre 1914.
 
Le Gouverneur militaire de Paris commandant l’armée de Paris,
Gallieni. »
 

 Pas un mot de trop. Ça claque et ça marque.

Je dois en outre m’assurer, pour le compte du chef de l’Etat, du bon fonctionnement des pouvoirs publics dans la capitale.

Nous avons par exemple fait installer des bestiaux dans les bois de Boulogne et Vincennes pour couper court aux risques de rupture d’approvisionnement en vivres. Cela nous fait drôle de croiser des vaches ou des cochons sur des vastes étendues d’herbes où s’asseyaient encore, au mois de juillet dernier, des belles élégantes en pique-nique !

Les bestiaux au Bois de Boulogne en 1914 : il faut nourrir Paris, coûte que coûte

Les vaches, en 1914, sont dans les jardins de Bagatelle

Ma femme Nathalie demeure à Versailles, avec les enfants, chez mes beaux-parents. Elle aide, tous les jours, dans des conditions éprouvantes, le personnel infirmier à l’hospice civil de Versailles, rue Richaud, bâtiment en partie mobilisé pour accueillir les nombreux blessés du front.

La grande salle Saint-Louis de l’Hospice Civil de Versailles, rue Richaud, en 1914

Aujourd’hui à Paris, il semble que l’espérance commence à renaître. Nous organisons avec Gallieni et la préfecture de Police la réquisition de tous les taxis pour transporter sur le front le maximum de troupes. Nos éclaireurs aériens nous rapportent en effet que la première armée allemande – celle de Von Kluck- s’est imprudemment avancée vers le sud-est, dédaignant la capitale qu’elle croit sans doute dégarnie. Nous pouvons, si nous allons vite, l’attaquer par surprise sur son flanc droit.

L’offensive recommence, nous cessons de reculer. Enfin. La grande bataille pour sauver la France est engagée. Nous n‘écoutons ni nos doutes, ni notre profonde fatigue. Nous allons nous battre, jusqu’au bout. Nous allons vaincre, j’en suis sûr.

Les taxis parisiens réquisitionnés transportent nos troupes vers la Marne

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