Son "mari de camp", Grégori Pavlovitch (Egor), était alcoolique au dernier degré
et jurait comme un charretier. Extérieurement, Tatiana l'avait civilisé,
elle lui avait appris, par exemple,
à remplacer son juron préféré par le nom d'un dieu latin.
A présent, il accueillait les élèves de sa femme en disant :
"On se boit un petit coup, les gars ? Et si elle veut pas, elle a qu'à aller se faire phébus !"
(Efim Etkind,La Traductrice,
traduit du russe par Sophie Benech,
éditions Interférences, 2012)
Lisant l'intéressant article " Anton Tchekhov à la conquête de lui-même " à la "une" du "Monde des livres" daté 2 décembre, nous tombons en troisième colonne sur cette phrase extraite d'une lettre de l'écrivain à son éditeur, Alexeï Souvorine, du 20 février 1890, à propos de son travail sur le bagne de Sakhaline :
Alléchés par l'article et piqués par la curiosité, nous achetons donc le livre dont parlait "Le Monde des livres" : Vivre de mes rêves - Lettres d'une vie3. Il s'agit d'abord de savoir pourquoi Tchekhov se traitait de " fils de pute "; solution page 263 : " J'ai volé dans les livres des autres vraiment beaucoup d'idées et de connaissances que je ferai passer pour miennes. Dans notre siècle pragmatique on ne peut pas faire autrement. "
Ayant parcouru le recueil avant de nous y plonger, nous avons déjà trouvé dans une autre lettre à Souvorine du 7 novembre 1888 (page 180) un autre "fils de..." : " Viktor Krylov (un auteur dramatique) est un sacré fils de chienne... ". En somme, voilà une sorte d'expression hypocoristique appliquée à l'insulte.
" L'édition russe de référence comporte [...] des coupures effectuées selon les paramètres des années 1970-1980, soucieuses de ne pas "salir", rendre "vulgaire" ou "triviale" ( opochliat') l'image de l'écrivain en révélant son usage des mots obscènes ou des descriptions scabreuses, précise la traductrice dans sa "Note à la présente édition". Grâce au professeur Kataev, éminent spécialiste de Tchekhov, ces lacunes (parfois un paragraphe entier) ont pu être comblées. Anton Pavlovitch n'en sort, semble-t-il, ni sali ni grandi. Il est tel qu'en lui-même ("il faut être juste") : cru et pudique à la fois (voir la lettre à Souvorine du 24 ou 25 novembre 1888). " Lettre dont voici le début : " Les femmes qui se laissent prendre ou, pour s'exprimer à la moscovite, cafarnicouillent sur tous les sofas ne sont pas tant des enragées que des chattes efflanquées souffrant de nymphomanie. Le sofa est une pièce de mobilier très inconfortable. On l'accuse de fornication plus souvent qu'il ne le mérite. Je ne m'en suis servi qu'une fois dans ma vie et j'ai maudit ce jour. " Comme le rappelle la traductrice, le siècle de Tchekhov, " fut aussi celui de Maupassant, de Pierre Louÿs, de la fréquentation ordinaire des bordels. Zola mijotant Nana voyait "toute une société se ruant sur le cul" ".
Dans le Dictionnaire des régionalismes de France4, l'entrée putain (mot très sudiste, semble-t-il) est bien fournie. Les auteur-e-s présentent le terme comme une "ponctuation de la conversation, à valeur phatique". Phatique ? "Linguistique. Fonction phatique. Fonction du langage dont l'objet est d'établir ou de prolonger la communication entre le locuteur et le destinataire sans servir à communiquer un message".
Nous trouvons, outre le putain de sort ! bien connu, putain con ! et sa variante putain de con !, putaing cong !, putain d'Adèle !, putain de moine !, putain de Bonne Mère !. L'entrée pute n'est pas moins bien fournie : pute borgne !, pute d'Adèle ! (mais qui est donc cette Adèle?...), pute vierge !, fan de pute !.
Un ami, alors dans la marine, ne se souvient-il pas avoir entendu dans les années 50, dans une rue de Toulon, une mère lancer le plus naturellement du monde à sa petite fille qui traînait les pieds : " Viens, vieille pute ! "
1. Vers 1200. Féminisation (dans ce cas, pas de problème pour féminiser 😉 de l'ancien français put, puant (Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert).
2. Souka = chienne.
3. Dans la collection "Bouquins", chez Robert Laffont. Lettres traduites et annotées par Nadine Dubourvieux.
4. Sous la direction de Pierre Rézeau, Institut national de la langue française, De Boeck-Duculot, 2001.
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