Andreas Schleicher, Directeur de la direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE, publiait il y a quelques semaines un article sur le thème des idées reçues en matière d’éducation que je réutilise car il colle parfaitement à la thématique de ce blog.
Les données accumulées depuis maintenant près de 15 ans par l’étude PISA remettent en cause un certain nombre de théories à propos des systèmes éducatifs performants. Il me semblait bon de les rappeler, surtout quand elles peuvent éviter de sombrer dans le pessimisme ambiant qui tend à laisser croire qu’il est impossible d’avoir un système éducatif qui allie qualité et égalité dans les chances de réussite pour tous. Voici donc six grandes idées reçues qui circulent sur les systèmes éducatifs performants et que les comparaisons internationales ne confirment pas.
1) Les élèves des milieux défavorisés sont condamnés à obtenir de mauvais résultats
Partout dans le monde, les enseignants cherchent à compenser les désavantages sociaux à l’intérieur de leurs classes. Pourtant certains pays y arrivent mieux que d’autres. En tout cas, et contrairement à l’idée largement répandue, venir d’un milieu défavorisé ne signifie pas nécessairement échouer dans sa scolarité. Ainsi, les résultats de PISA 2012 montrent par exemple qu’en Corée, parmi les élèves de 15 ans, les 20 % les plus défavorisés ont de meilleurs résultats en mathématiques que les 20 % les plus privilégiés aux États-Unis et dans plusieurs pays européens (voir le graphique ci-dessous).
Les systèmes éducatifs où les élèves de milieu modeste réussissent sont capables d’atténuer les inégalités sociales et présentent une plus faible dispersion dans la performance éducative. Ils attirent généralement les meilleurs enseignants dans les classes les plus difficiles et les chefs d’établissement les plus dynamiques dans les écoles les plus défavorisées, confrontant ainsi tous les élèves aux niveaux les plus élevés et à l’enseignement le plus exigeant.
En somme, une véritable politique favorisant l’éducation prioritaire est mis en place dans ces pays pour permettre aux élèves des milieux défavorisés de bénéficier de moyens supplémentaires pour compenser leur handicap de départ.
2) Plus on dépense d’argent, meilleures seront les performances éducatives
Les dépenses d’éducation unitaires de la Corée, qui arrive en tête des pays de l’OCDE aux tests de mathématiques, sont bien inférieures à la moyenne des pays membres. Des exemples de ce type sont courants. Le monde ne se divise plus entre les pays riches et instruits d’un côté, et les pays pauvres et peu instruits de l’autre. En 2012, les dépenses d’éducation unitaires expliquent moins de 20 % des écarts de résultats scolaires dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Par exemple, les élèves de Slovaquie, qui dépense environ 53 000 USD par élève entre 6 et 15 ans, obtiennent en moyenne les mêmes résultats à l’âge de 15 ans que les élèves aux États-Unis, qui dépensent plus de 115 000 USD par élève.
La réussite des systèmes éducatifs ne dépend plus du montant des dépenses mais de la façon dont l’argent est dépensé. Les pays doivent investir dans l’amélioration de la formation et des compétences s’ils veulent se mesurer aux autres dans une économie mondiale de plus en plus axée sur le savoir.
3) Des effectifs réduits en classe améliorent le niveau dans tous les établissements scolaires
Partout, les enseignants, les parents et les décideurs estiment que des classes à effectif réduit constituent la clé d’un enseignement plus efficace et personnalisé. La réduction des effectifs en classe est également l’une des principales raisons de l’augmentation sensible des dépenses d’éducation unitaires dans la plupart des pays depuis dix ans. Pourtant, les résultats du PISA ne permettent pas d’établir de lien entre la taille des classes et les résultats des élèves, ni à l’intérieur des pays, ni entre eux. Plus intéressant encore, les systèmes scolaires les plus performants au PISA sont en général ceux qui privilégient systématiquement le niveau de qualité des enseignants par rapport à la taille des classes. Lorsqu’ils doivent choisir entre une classe plus petite et un meilleur enseignant, ils choisissent ce dernier. Plutôt que de miser sur des classes à effectif réduit, ces pays-là investissent dans des salaires intéressants pour les enseignants, dans la formation professionnelle continue et dans des horaires de travail équilibrés.
Même si la réduction de la taille des classes dans les établissements les plus difficiles peut aider à favoriser des environnements plus propices à l’apprentissage et à la personnalisation de l’enseignement, la qualité des enseignants qui y exerceront sera encore plus déterminante pour la réussite éducative.
4) Des systèmes éducatifs non-sélectifs sont plus égalitaires, des systèmes sélectifs obtiennent de meilleures performances
On croit souvent qu’un système scolaire non sélectif favorise l’égalité des chances et l’équité, alors qu’un système sélectif vise uniquement à la qualité et à l’excellence Pourtant, les comparaisons internationales montrent que la qualité de l’enseignement et l’équité ne sont pas incompatibles : les meilleurs systèmes éducatifs – comme l’Australie, le Canada, la Corée, la Finlande ou encore le Japon – concilient les deux. De même, aucun des pays dont le système scolaire est très sélectif, que ce soit sous forme d’orientation, de répartition par niveau ou de redoublement, ne figure parmi les plus performants ni parmi ceux ayant le plus haut pourcentage de bons élèves.
5) Le monde moderne a besoin de nouvelles disciplines et de programmes scolaires plus vastes
La mondialisation et le progrès technologique ont une incidence profonde sur les connaissances que les jeunes doivent acquérir. Lorsque l’on peut accéder à une quantité d’informations considérable sur Internet, que les tâches routinières sont informatisées ou sous-traitées, et que les emplois évoluent rapidement, l’objectif est de permettre aux citoyens d’apprendre tout au long de leur vie et de gérer des façons de penser et de travailler complexes.
En résumé, le monde moderne ne nous récompense plus pour notre savoir, mais pour ce que nous pouvons en faire. De nombreux pays prennent en compte cette évolution en ouvrant les programmes scolaires du primaire et secondaire à de nouvelles disciplines. La tendance la plus récente, renforcée par la crise financière, est d’inculquer justement aux élèves des compétences financières. Pourtant, les résultats du PISA ne montrent pas de lien direct entre le nombre d’heures allouées à cette nouvelle matière et les performances obtenues. Plus encore, certains des systèmes scolaires dont les élèves ont le mieux réussi aux tests du PISA en culture financière n’enseignent pas cette matière mais concentrent tous leurs efforts sur un enseignement approfondi des mathématiques.
De manière plus générale, dans les systèmes scolaires les plus performants, les programmes scolaires ne sont pas étendus, mais ils sont globalement rigoureux et se concentrent sur quelques disciplines, enseignées de manière efficace et approfondie.
6) Seuls les élèves qui ont des facilités réussissent pleinement leur scolarité
Les écrits de nombreux psychologues spécialisés dans l’éducation incitent à penser que la réussite scolaire tient davantage à des facilités innées qu’à un travail assidu. Les résultats du PISA traduisent également cette croyance erronée : une part importante des élèves dans les pays occidentaux estime que la réussite en mathématiques ou en sciences est une question de chance plutôt que de travail. Pourtant, cette caractéristique est systématiquement en corrélation négative avec les résultats.
Plus encore, si l’on compare les notes obtenues en classe et les scores aux tests du PISA, il ressort des comparaisons internationales que les enseignants sont souvent moins exigeants avec les élèves issus de milieu défavorisé – et ces élèves et leurs parents le sont peut-être aussi.
A contrario, dans les pays performants, les élèves, les parents, les enseignants et la société dans son ensemble ont tendance à croire que tous les enfants sont capables de bien travailler à l’école. Les élèves de ces systèmes indiquent systématiquement que s’ils font des efforts soutenus, ils sont convaincus que leurs professeurs les aideront à exceller. Dans ces pays, un socle de compétences exigeant est mis en place et appliqué dans toutes les écoles. Dans ces systèmes éducatifs, avoir des aspirations élevées pour tous n’est pas un vœu pieux, c’est une réalité.