Article co-écrit avec Jean-Christophe Dumont (Chef de la division des migrations internationales à l’OCDE)
Le niveau d’instruction de la population française progresse mais les inégalités aussi.
Depuis 40 ans, le niveau d’instruction de la population française n’a cessé de s’élever. Pour autant, l’école française n’a pas réussi à se démocratiser à la hauteur de ses ambitions. En 2012, le système éducatif français est ainsi l’un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE au sens où il ne parvient pas, en dépit des multiples réformes entreprises depuis des décennies à instaurer l’égalité des chances pour tous les élèves, en particulier pour les enfants immigrés ou issus de l’immigration.
Dans l’enquête PISA qui évalue les élèves de 15 ans, la France se situe au niveau de la moyenne des 34 pays de l’OCDE mais ce résultat moyen masque une réalité beaucoup plus préoccupante. La proportion de bons élèves en mathématiques (niveaux 5 et 6 dans l’enquête PISA 2012) ne progresse plus depuis 9 ans alors que la part des élèves peu performants (sous le niveau 2 dans l’enquête PISA 2012) est en augmentation de 6 points de pourcentage par rapport à 2003 (Graphique 1). Plus encore, les écarts de performance entre les élèves selon le niveau socio-économique de leurs parents sont en France parmi les plus marqués au sein des pays de l’OCDE. La France se classerait ainsi 27ème sur les 34 pays membres de l’OCDE si la comparaison portait uniquement dans chaque pays sur les 10% des élèves de 15 ans issus des milieux les plus défavorisés (dernier décile) alors qu’elle grimperait en 8ème position si la même comparaison portait cette fois-ci uniquement sur les 10% d’élèves de 15 ans issus des milieux les plus favorisés (premier décile). L’écart entre les deux groupes atteint 150 points (contre 117 points en moyenne dans l’OCDE), sachant que 39 points dans l’enquête PISA équivalent à une année de scolarité.
Graphique 1. Pourcentage d’élèves très performants et d’élèves peu performants en mathématiques, OCDE PISA 2003 et 2012
Les pays sont classés par ordre décroissant de leur pourcentage d’élèves situés au niveau 5 de compétence en mathématiques ou au-delà en 2012.Source : OCDE, Base de données PISA 2012.
Plus globalement, les élèves issus de familles défavorisées en France (dernier quartile sur l’indice du milieu socio-économique) sont trois fois plus susceptibles d’être parmi les élèves les moins performants de l’enquête PISA. Par ailleurs, les élèves inscrits dans les écoles où la proportion de mères peu éduquées est importante ont en moyenne des résultats scolaires beaucoup plus faibles que dans les autres pays.
Ce constat résulte en partie des difficultés du système éducatif français à faire réussir les élèves en difficulté et notamment les enfants immigrés (c’est-à-dire nés à l’étranger) ou issus de l’immigration (c’est-à-dire nés en France dont au moins un des parents est né à l’étranger).
Les inégalités et les difficultés observées en France apparaissent dès l’école maternelle, pour ensuite s’accentuer jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, et au-delà. Ce constat général n’est pas nouveau et de nombreuses réformes ont visé à renforcer et à concentrer les moyens sur les apprentissages fondamentaux, notamment pour les élèves en difficulté. Ces réformes auraient dû avoir un impact positif sur la performance des élèves et auraient aussi dû permettre au système éducatif français de devenir plus inclusif. Cependant, les résultats ne sont pas au rendez-vous, principalement en raison de l’insuffisance des mesures concrètes mises en place depuis 30 ans afin d’offrir aux enseignants la possibilité de mettre en place une gestion plus personnalisée des élèves en difficulté.
Cette situation apparaît de manière plus marquée encore pour certains groupes, dont les enfants immigrés ou issus de l’immigration alors même que ces derniers représentent une part importante et croissante de la population. Près de 28 % des jeunes adultes (âgés de 15 à 34 ans) résidant en France sont soit nés à l’étranger, soit issus d’au moins un parent immigré, contre respectivement 24 % dans l’Union européenne et 27 % et l’OCDE. La plupart d’entre eux (80 %) ont été au moins en partie scolarisés en France, tandis que les 20 % restants étaient déjà adultes au moment de leur arrivée (au titre d’une migration de travail, d’un regroupement familial ou comme réfugié).
Le système éducatif n’arrive pas à assurer la réussite de l’ensemble des élèves, plus particulièrement les jeunes immigrés, et dans une moindre mesure, les enfants nés en France de parents immigrés. C’est d’ailleurs ce que confirment les statistiques issues de la nouvelle publication de l’OCDE intitulée « Trouver ses Marques. Les indicateurs de l’intégration des immigrés » (http://www.oecd.org/migration/indicators-of-immigrant-integration-2015-settling-in-9789264234024-en.htm) :
- En France, 41% des élèves immigrés obtiennent de faibles performances en compréhension de l’écrit (sous le niveau 2 dans l‘enquête PISA) contre seulement 26% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Cette proportion élevée est aussi trois fois supérieure à celle observée parmi les élèves de parents autochtones (14%) mais aussi largement supérieure à celle observée pour les enfants d’immigrés nés en France (28%). La proportion d’élèves immigrés en difficulté ne dépasse 40% que dans trois autres pays : l’Italie, le Mexique et la Suède.
- Les enfants immigrés originaires de familles défavorisées, même s’ils ne représentent qu’une petite fraction de l’ensemble des élèves de 15 ans, ont près de 10 fois moins de chance que ceux nés en France de parents autochtones de figurer parmi les meilleurs élèves – comparé à 2 fois moins de chance en moyenne en Europe (graphique 2).
- La fréquentation de l’école maternelle en France concerne une très large majorité des enfants âgés de 3 à 6 ans, quel que soit le pays de naissance de leurs parents. Cette forte fréquentation est un atout majeur pour l’intégration scolaire des enfants immigrés. Dans les pays où cette fréquentation est moins systématique, aux États-Unis par exemple (avec moins de 60% des enfants immigrés en âge pré-scolaire), le retard accumulé en compréhension de l’écrit équivaut à près de 3 ans de scolarité à l’âge de 15 ans pour ceux qui n’ont pas suivi ce type de formation comparé à leurs pairs qui ont pu en bénéficier (près de deux ans de scolarité en moyenne dans les pays de l’OCDE).
- Les élèves immigrés entrés en France entre 11 et 15 ans ont, en termes de performance en compréhension de l’écrit, plus de deux années et demie de scolarité de retard (contre moins d’un an en moyenne pour l’ensemble des pays OCDE) par rapport aux élèves immigrés arrivés dans leur pays d’accueil avant l’âge de 5 ans. Leurs difficultés sont particulièrement marquées en raison de la plus forte prévalence parmi eux d’élèves issus de milieux sociaux défavorisés.
- Un quart des jeunes de 15-24 ans sortis du système scolaire sans diplôme sont des enfants d’immigrés nés en France (y compris les jeunes issus de couples mixtes), alors qu’ils ne représentent qu’une personne sur cinq dans cette classe d’âge.
Graphique 2 : Part d’élèves résilients selon leur origine migratoire, 2012
Par élèves résilients, on entend la proportion d’élèves qui obtiennent les meilleures performances (1er quartile) alors qu’ils sont issus des milieux les plus défavorisés (1er quartile également)
Source : OECD-EC (2015), Settling in, indicators of integration of immigrants.
Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA) 2012.
Les difficultés des enfants immigrés persistent sur le marché du travail. Des mesures d’intégration spécifiques doivent donc être mises en œuvre
Ces mauvais résultats scolaires ne sont pas sans conséquence par la suite sur le marché du travail puisqu’en moyenne, moins de deux enfants d’immigrés sur trois (chez les 15- 34) sont en emploi comparé à près de 80% pour les enfants de parents nés en France. Si les enfants nés en France de parents immigrés ne mettent pas plus de temps que ceux de parents non immigrés pour accéder à un premier emploi de plus de 3 mois, soit moins d’un an, les enfants immigrés arrivés avant l’âge de 15 ans et qui n’ont pas tous effectué leur scolarité en France, mettent en moyenne plus de 2 ans (28 mois).
Au total, ce sont près d’un million de jeunes âgés de 15 à 34 ans nés à l’étranger ou dont au moins l’un des deux parents est immigré qui ne sont ni employés, ni scolarisés, ni en formation. Pour eux pas de seconde chance et un fort sentiment de déclassement, voire de discrimination. Ce sentiment semble plus répandu chez les descendants d’immigrés (27%) que chez les immigrés eux-mêmes (19%). Une situation qui porte en elle les germes d’une fracture sociale profonde qui ne se résorbera pas sans des mesures fortes et ciblées sur les principales causes du problème : l’échec scolaire et le décalage entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail.
En 2012, 30 % des ménages immigrés qui vivent en France se trouvent en situation de pauvreté relative, contre 13 % pour les autres ménages. C’est un des écarts de revenu les plus élevés de la zone OCDE. Près d’un enfant de parents immigrés sur deux qui vit en situation de pauvreté, soit trois fois plus que pour les ménages non-immigrés. La question posée ne concerne pas seulement une génération mais concerne la société dans son ensemble et de l’avenir de l’économie française.
Des mesures d’intégration spécifiques doivent donc être mises en œuvre. La France bénéficie pourtant d’une longue tradition et expérience en matière d’accueil des immigrés. Les politiques d’intégration, menées au cours des dernières années principalement dans le cadre de la politique de la ville font partie aujourd’hui des politiques générales reposant sur le principe d’égalité de traitement. Cependant, cette approche manque d’efficacité face à des enfants particulièrement défavorisés, dont les parents rencontrent de grandes difficultés sur le marché du travail. De plus, ces enfants sont souvent concentrés dans des zones géographiques bien déterminés et fréquentent des écoles sous dotées, notamment en personnel. On constate à cet égard qu’une grande partie des enseignants qui y sont affectés ont en général moins d’ancienneté ou appartiennent à un corps moins bien rémunéré.
Cette situation souligne l’urgence de renforcer et de mieux cibler l’arsenal des mesures visant à faciliter l’intégration des immigrés et de leurs enfants notamment dans le système scolaire. Des mesures concrètes pourraient être mises en œuvre ou approfondies sur la base des expériences réussies en France ou dans les autres pays de l’OCDE. Ces mesures devraient chercher avant tout à poursuivre et renforcer significativement les réformes en cours du système éducatif de manière à le rendre plus inclusif (voir document (http://www.oecd.org/fr/france/vers-un-systeme-d-education-plus-inclusif-en-france.pdf). Il serait ainsi souhaitable de :
- Développer des politiques plus incitatives afin d’attirer des enseignants plus expérimentés et mieux formés dans les établissements difficiles: 37,4 % des enseignants en éducation prioritaire ont ainsi moins de 35 ans et 7,7 % ne sont pas titulaires, contre respectivement 25,7 % et 4,8 % hors éducation prioritaire.
- Réduire significativement la taille des classes dans les établissements difficiles pour favoriser la mise en place d’une pédagogie différentiée et permettre ainsi une plus grande individualisation de l’enseignement.
- Renforcer les dispositifs visant à nouer des liens entre les familles et écoles en partenariat avec les entreprises locales et les acteurs de la vie sociale.
- Soutenir les élèves et les établissements défavorisés: les systèmes d’éducation dont les élèves affichent un niveau élevé de performance tendent à répartir les ressources de façon plus juste entre établissements favorisés et établissements défavorisés.
- Valoriser et rehausser le niveau des filières professionnelles au lycée: ce sont encore trop souvent les élèves ayant obtenu des résultats médiocres au collège qui sont orientés vers la voie professionnelle, cette dernière souffrant par conséquent d’un réel problème d’image.
- Assurer à chaque jeune une trajectoire «sécurisée » vers l’emploi: Au moment de l’insertion dans la vie professionnelle, les failles du système d’éducation doivent être palliées par le système d’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi.
Ces objectifs généraux devraient toutefois être complétés par une série de mesures plus spécifiques visant à aider les immigrés et leurs enfants à développer les compétences dont ils ont besoin pour vivre et travailler en France (voir http://www.oecd.org/fr/els/mig/debats-politiques-migratoires-3.pdf ). Il s’agirait notamment de:
- Limiter les effets néfastes sur la réussite scolaire de la concentration géographique de publics défavorisés et notamment des nouveaux migrants dans certaines écoles publiques. De ce point de vue, il importe de lutter contre le contournement de la carte scolaire et plus généralement de promouvoir la mixité sociale. Il s’agit notamment d’éviter de concentrer dans un petit nombre d’établissements scolaires les enfants issus de familles immigrées possédant un faible niveau d’instruction.
- Éviter de retarder le regroupement familial des jeunes enfants pour qu’ils puissent avoir accès à l’enseignement préscolaire au même titre que les enfants nés dans le pays. Dans ce cas spécifique, cette action devrait s’accompagner d’une accélération des délais requis pour la procédure de regroupement familial.
- Encourager les immigrés à scolariser leurs enfants nés en France dès l’âge de trois ans, voire dès deux ans.
- Renforcer très significativement les dispositifs d’accueil pour les enfants arrivés en France entre 6 et 16 ans.
- Étoffer l’offre de cours passerelles pour ceux qui arrivent vers la fin de la scolarité obligatoire ou après afin de compléter leurs compétences et axer les efforts sur la formation linguistique à vocation professionnelle.
II est certain que l’éducation aura un rôle déterminant à jouer pour faciliter l’intégration des immigrés et plus globalement des élèves des milieux défavorisés dans la société. Et ceci, même si les autres mesures exposées ci-dessus sont également indispensables. Réformer l’École pour concilier excellence et réussite scolaire de tous est le meilleur moyen de s’attaquer le plus vite possible aux inégalités sociales. Il est important de souligner sur ce point que, contrairement aux idées reçues, les premiers bénéfices d’une bonne réforme peuvent déjà s’obtenir au bout de quelques années. Cela a par exemple été le cas récemment en Allemagne, en Pologne ou au Portugal. Plus encore, dans ces trois pays, les réformes fixant comme priorité la réduction des inégalités sociales n’ont pas conduit à un nivellement par le bas des performances. Au contraire, la proportion d’élèves en échec scolaire y a diminué, alors que, dans le même temps, celle des bons élèves a augmenté.
Des progrès sont donc possibles quand les moyens sont concentrés sur un objectif bien défini et quand les ressources sont affectées aux bons endroits en corrélation avec les autres choix stratégiques (emploi, logement, etc.).