On entend régulièrement dans le débat public sur l’éducation que les lycéens coûtent chers aux contribuables ou qu’il conviendrait de redéployer une partie des ressources accordées aux lycées vers les écoles élémentaires. Un lycée qui coute cher, c’est une affirmation avérée tant la France présente un déséquilibre flagrant dans la répartition de sa dépense d’éducation. Une année au lycée coûte ainsi environ 11 000 euros par élève alors que cette même dépense n’atteint même pas 6 000 euros au primaire, soit quasi deux fois moins. En comparaison internationale, le constat est même encore plus éloquent : les dépenses par élève au lycée sont 37 % plus élevées que la moyenne de l’OCDE tandis que celles du primaire sont 15 % inférieures à cette même moyenne OCDE (voir graphique ci-dessous).
Les raisons à ce coût élevé sont multiples et sont pour la plupart liées à des aspects structurels ou à une organisation du temps de travail (des élèves et des enseignants) spécifique à la France. En quelques points :
- Le salaire des enseignants n’est pas un élément qui contribue au coût élevé des lycées en France.
Certes, un enseignant agrégé exerce en général au lycée et est mieux rémunéré qu’un enseignant certifié (titulaire du CAPES) qui lui-même gagne plus qu’un enseignant travaillant dans le premier degré (niveau pré-primaire ou primaire). Cependant, quel que soit le niveau où ils exercent, le salaire statutaire en début et milieu de carrière des enseignants en France n’excède jamais la moyenne des pays de l’OCDE, même s’il faut bien reconnaître que ceux qui sont titulaires d’une agrégation en sont proches. Le salaire des enseignants n’est donc pas le facteur qui explique le coût si élevé des lycées en France.
- Le nombre d’heures de cours reçues par un lycéen chaque année et le temps de travail statutaire (devant élèves) des enseignants ayant une agrégation ont quant à eux un impact indéniable sur le coût élevé des lycées en France.
Les élèves en France reçoivent davantage d’heures de cours que la moyenne OCDE, aussi bien dans l’enseignement primaire, au collège, qu’au Lycée. Cet écart par rapport à la moyenne tend même à s’accroître avec l’augmentation du niveau d’éducation. En moyenne dans les pays de l’OCDE, le temps total d’instruction obligatoire par an s’établit ainsi à 940 heures au lycée contre plus de 1 000 heures en France, 1 036 heures pour être précis.
Il faut donc davantage d’enseignants que dans les autres pays de l’OCDE pour assurer ce volume horaire important. C’est d’autant plus vrai en raison du « faible » temps de travail (devant élèves) des enseignants exerçant au lycée. Ainsi, un enseignant agrégé travaille en France 15 heures par semaine devant une classe alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 18 heures par semaine. À titre indicatif, un enseignant certifié exerce quant à lui 18 heures par semaine quand un enseignant du primaire travaille devant une classe entière 24 heures par semaine en France, soit 3 heures de plus que la moyenne des pays de l’OCDE (21 heures pour le primaire).
Attention, je ne dis pas que les enseignants du lycée en France ne travaillent pas ou travaillent moins, mais simplement qu’une partie importante de leur temps de travail se concentre en dehors des classes pour préparer des cours, corriger les innombrables copies ou rencontrer les parents et que cette organisation explique en partie le coût élevé des lycées en France.
- Les lycées en France sont nombreux et de petite taille, d’où un coût supplémentaire par rapport aux autres pays de l’OCDE.
En France, les lycées sont de petite taille par rapport à nombre de pays de l’OCDE ou européens. En conséquence, cela entraine des coûts supplémentaires pour assurer le bon fonctionnement de ces petites structures et, en termes d’efficacité, cela rend également difficile l’harmonisation des politiques éducatives entre établissements. Le rapport de la Cours des comptes sur le coût du lycée mentionnait par exemple que la moitié des lycées en France scolarisent moins de 500 élèves et que 11% d’entre eux ont même moins de 100 élèves (voir https://www.ccomptes.fr/Accueil/Publications/Publications/Le-cout-du-lycee).
- L’organisation des épreuves du Baccalauréat a un coût relativement modéré. Cependant, les nombreuses options que les élèves préparent sont quant à elles très coûteuses.
À première vue, l’organisation des épreuves du Baccalauréat a un coût relativement modéré, chiffré chaque année autour de 60 millions d’euros par le ministère de l’Éducation nationale et a donc un faible impact sur le coût du lycée. Cependant, le nombre d’options proposées aux lycéens représente un véritable coût pour le système. Le rapport de la Cours des comptes le pointait d’ailleurs du doigt. Il y était par exemple spécifié que plus de 58 langues vivantes étrangères, régionales ou des signes étaient proposées aux candidats du Baccalauréat en France, ce qui est considérable. Les options sont en plus extrêmement coûteuses (parfois 6 fois plus qu’une heure classique de cours en mathématiques, histoire géographie ou sciences par exemple) car, pour beaucoup d’entre elles, elles sont suivies par un nombre très limité d’élèves.
- Les filières professionnelles au lycée sont également coûteuses alors qu’elles ne sont pas suffisamment porteuses sur le marché du travail.
En France, un lycéen sur quatre est scolarisé dans une filière professionnelle conduisant au Baccalauréat Professionnel, ce qui en soi n’est pas critiquable tant une formation professionnelle de qualité est un véritable tremplin vers l’emploi. On le constate clairement en Allemagne, en Autriche, en Suisse ou au Pays Bas par exemple pour ne citer que nos voisins. Cependant, ces filières sont coûteuses car elles nécessitent des équipements modernes qui doivent être renouvelés pour faire face aux évolutions des métiers du secteur. Il conviendrait donc de les valoriser davantage en France pour que l’investissement soit plus rentable qu’il ne l’est aujourd’hui. Par exemple, alors que les diplômés des programmes dits d’apprentissage, c’est à dire dispensés en alternance entre le lycée et l’entreprise, réussissent beaucoup mieux en général sur le marché du travail – probablement grâce à leur expérience de travail plus intensive – deux tiers des élèves en filière professionnelle en France sont formés uniquement dans les lycées professionnels sans accès à l’apprentissage.
Conclusion
Tous ces facteurs cumulés expliquent pourquoi les lycées coûtent si chers en France. Des économies sont donc possibles mais cela nécessiterait des changements radicaux, avec des réflexions à mener simultanément sur le temps de travail (devant élèves) des enseignants, sur les rythmes scolaires des élèves ainsi que sur l’offre d’options à leurs dispositions, sur l’organisation de l’examen du Baccalauréat, sur la taille des établissements et leur gouvernance ou encore sur la revalorisation de la formation professionnelle. Le chantier est vaste et d’une extrême sensibilité. Redéployer les ressources du lycée vers le primaire ne sera pas chose aisée même si, en théorie, cela semble simple. Si cette décision est prise, elle ne pourra être mise en œuvre qu’en y associant des réformes profondes, sans négliger pour autant l’aspect qualitatif de ces dites réformes. Car l’objectif premier doit être de rendre le système éducatif français plus performant qu’il ne l’est aujourd’hui et non de faire des économies budgétaires.