73% de participation (©Sébastien Hervieu)
Le long des rues et routes sud-africaines, les affiches de campagne sont décrochées les unes après les autres. La page des élections générales sud-africaines (législatives et provinciales) du 7 mai se tourne. Quelles leçons faut-il tirer des résultats ?
° Il ne faut jamais sous-estimer l’ANC
Cette fois-ci, c’était la bonne. Après vingt ans au pouvoir sans discontinuer, le Congrès national africain (ANC) allait passer sous la barre symbolique des 60%. Non (62,15%). Et ce n’est pas forcément une surprise. L’ANC reste l’ADN politique d’une majorité de Sud-Africains qui se souviennent bien qui les a libéré de l’oppression du régime de l’apartheid. Et s’ils l’avaient oublié, toute une série de commémorations a été organisée cette année par le pouvoir en place (l’ANC donc) pour célébrer le vingtième anniversaire des premières élections libres et multiraciales. Elle succédaient aussi aux commémorations liées à la mort de Nelson Mandela en décembre dernier.
Dans les campagnes, avec l’aide des chefs traditionnels, l’ANC n’a pas hésité aussi à chuchoter aux habitants que si le parti perdait le pouvoir, ils ne recevraient plus leurs prestations sociales (dont le nombre de bénéficiaires a d’ailleurs considérablement crû ces dernières années – 16 millions aujourd’hui). Ou que ceux qui ne voteraient pas ‘ANC’ n’auraient aucune chance d’avoir un emploi dans une municipalité. La confusion parti au pouvoir/parti en campagne a également été savamment entretenue, permettant à l’ANC d’exploiter au mieux les ressources étatiques pour faire sa promotion (contrôle du groupe de télévision publique, distribution de colis alimentaires, etc.).
Même s’il a obtenu son score le plus bas depuis vingt ans, l’ANC n’a perdu que trois points, alors même que son fidèle allié, la puissante fédération syndicale, la Cosatu, divisée en interne, a peu fait campagne, et que le candidat de l’ANC, le président Jacob Zuma, était éclaboussé par les scandales.
La machine électorale de l’ANC continue à être très bien huilée. En novembre dernier, le soutien à l’ANC ne s’élevait qu’à 53% selon l’institut de sondages Ipsos. Il atteignait 64% la veille du scrutin.
° Du vote racial au vote de classe, ou l’émergence de deux centres de pouvoir
Deux urnes pour deux scrutins, législatif et régional (©Sébastien Hervieu)D’un côté, les campagnes et petites villes où se trouve la majorité des plus pauvres (essentiellement des Noirs) qui votent toujours ANC. De l’autre, les grandes villes avec sa classe moyenne et ses élites qui votent de plus en plus pour le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA). La grande majorité des 750 000 électeurs noirs du DA (sur près de 4 millions) sont issus de la classe moyenne.
C’est aussi en majorité dans les grandes agglomérations que le nouveau parti de gauche radical, les Combattants pour la liberté économique (EFF), désormais troisième force politique du pays, ont attiré leur électorat, symbolisant ainsi l’effritement de la loyauté identitaire à l’ANC quand on « monte à la ville » et que le contrôle familial ou traditionnel faiblit. Avec la progression de la migration de la population vers les centres urbains (60% y vit déjà), cette évolution devrait se poursuivre.
Intouchable au niveau national, l’ANC peut par contre être mis sous pression localement. Il a déjà perdu la province du Cap-Occidental en 2009 après avoir perdu la municipalité du Cap en 2006. Et si cela se reproduisait pour la province du Gauteng, le poumon économique de l’Afrique du Sud ? Le vote ANC y est passé de 64% à 54% pour ces élections (de 22% à 31% pour le DA). Lors des élections locales de 2016, Johannesburg (baisse de 62% à 52% pour l’ANC cette année) et Pretoria (60% à 49%) pourraient tomber dans l’escarcelle de l’opposition qui serait ainsi armée pour remporter la province du Gauteng en 2019. A condition que l’EFF, transformé en faiseur de rois s’il tient la distance, décide de gouverner avec le DA face à l’ANC.
Si cela se produisait, l’opposition contrôlerait ainsi près de la moitié du PIB sud-africain (Cap-Occidental + Gauteng) et disposerait enfin d’atouts sérieux pour tenter de contrebalancer la domination de l’ANC.
° Un désintérêt croissant, accru par une offre politique alternative limitée
A l’entrée de la résidence privée de Jacob Zuma, à Nkandla (©Sébastien Hervieu)Même s’il ferait pâlir d’envie certaines démocraties occidentales, le taux de participation aux élections sud-africaines ne cesse de baisser. 89% en 1999, 77% en 2009, 73% en 2014. Et ce chiffre ne tient compte que de ceux qui se sont inscrits sur les listes électorales. Un rappel : entre 2/3 et 3/4 des membres de la fameuse « born free generation » (âgés de 18 ou 19 ans, ils sont nés après la chute de l’apartheid et pouvaient voter pour la première fois) ne se sont pas inscrits sur les listes électorales.
Au total, 42% des Sud-Africains en âge de voter (non-inscrits et abstentionnistes) ne se sont pas exprimés dans les urnes. Ce chiffre traduit un désenchantement croissant à l’égard de la politique qui ne parviendrait plus à résoudre les problèmes. Des critiques se sont aussi élevées contre la pauvreté des programmes politiques présentés.
Combien de fois aussi a-t-on pu rencontrer pendant la campagne un électeur qui a toujours voté ANC, mais qui cette fois hésite à refaire confiance en raison des scandales, mais qui finalement revote ANC ou reste chez lui le jour du scrutin, car jamais il ne votera pour le DA, ce « parti de Blancs » ?
° La menace contre l’ANC ne peut venir que de l’intérieur
La base électorale de l’ANC, renforcée par la captation ces dernières années de l’électorat de l’IFP dans la région du KwaZulu-Natal, demeure solide même si elle peut continuer à s’effriter au cours des prochaines élections. Le DA a bien progressé au fil des élections générales, mais est en recul par rapport aux élections locales de 2011. Pour ce scrutin législatif de 2014, sa direction a un temps espéré atteindre les 30%, puis les 25%, avant finalement d’enregistrer un score de 22%.
Seule une scission au sein de l’alliance ANC-SACP-Cosatu au pouvoir peut menacer à terme l’hégémonie du parti historique de Nelson Mandela. C’est ce qui pourrait se produire en fin d’année ou l’année prochaine si Numsa, le plus grand syndicat de la Cosatu, décidait de rompre avec son organisation tutélaire. Ce nouveau parti des travailleurs pourrait ainsi concurrencer l’ANC sur le terrain de la légitimité historique (plus forte que pour l’EFF) et le pousser vers le centre de l’échiquier politique sud-africain en occupant l’espace à gauche.
Pour faire face à ce risque, l’ANC sera-t-il capable de se réformer ? Le prochain congrès électif de l’ANC en 2017 sera instructif.