Le 4ème rapport de la commission mondiale sur les drogues « Prendre le contrôle : Vers des politiques des drogues qui marchent » sort aujourd’hui. Il fera date.
La commission mondiale sur les drogues est composée d’anciens leaders mondiaux et présidents d’Etats comme Kofi Anna, ancien secrétaire général de l’ONU, Fernando Henrique Cardoso, ancien président du Brésil, ou George Papandreou, ancien Premier Ministre grecque. En 2011, son premier rapport, «Briser le tabou», avait innové en mondialisant le débat sur la prohibition et l’échec de la guerre contre les drogues. Les deuxième et troisième rapports étaient respectivement consacrés aux dégâts de la prohibition sur la lutte contre VIH/Sida et les hépatites. Ce quatrième rapport va beaucoup plus loin, en faisant des recommandations concrètes, sur l’usage comme sur le trafic, pour commencer à sortir de la prohibition.
La commission rappelle sa proposition de cesser de criminaliser la consommation et la possession de drogues pour usage personnel. Dans les sociétés démocratiques, la criminalisation de l’usage de drogues n’a eu que peu d’impact sur les niveaux de consommation de drogues. Elle y a encouragé les injections à risque, dissuadant les usagers de chercher un traitement. Elle a absorbé une part importante des ressources policières, aux dépens d’une lutte contre la grande criminalité. Pour des millions de personnes, elle ajoute aux conséquences sanitaires de l’usage le handicap d’une condamnation pénale. Il faut remplacer ces mesures contre-productives par des mesures de prévention, de réduction des risques et de traitements des dommages.
Les propositions faites sont nouvelles et audacieuses. Elles initient un changement de paradigme dans la lutte contre le trafic et les organisations criminelles à la hauteur du changement que la réduction des risques avait provoqué dans la prise en charge des usagers dans les années 90.
La commission recommande d’abord de s’appuyer sur des alternatives à l’incarcération pour les participants (non violents) de bas niveau impliqués dans le marchés de drogues illicites tels que les agriculteurs, les mules, les guetteurs… Les gouvernements ont consacré de plus en plus de ressources à la détection, l’arrestation et l’incarcération de personnes impliquées dans les marchés de drogues illicites, avec peu ou pas de preuves que ces efforts aient permis de réduire ces problèmes. Face aux enjeux de survie le plus souvent à l’origine de cet engagement, seuls des efforts socio-économiques de développement améliorant l’accès à la terre et à l’emploi, réduisant les disparités économiques, les inégalités et la marginalisation sociale, ouvriront une vraie alternative.
La commission propose ensuite de se concentrer sur la réduction de la puissance des organisations criminelles ainsi que sur la violence et l’insécurité qui résultent de la concurrence entre elles ou avec un Etat. Mais pas avec des «répression» militarisées qui aggravent la violence et l’insécurité sans pour autant décourager la production, le trafic ou la consommation de drogues. Elle soutient que les forces de l’ordre devraient abandonner l’objectif d’éradication du trafic et se tourner vers des buts atteignables comme la répression des dealers et organisations les plus perturbateurs, problématiques et violents.
Enfin, pour aller jusqu’au bout de sa logique, la commission propose de lancer des expérimentations de régulations du marché des drogues illicites, en commençant par le cannabis, les feuilles de coca, et les nouvelles drogues de synthèse. En fin de compte, conclue-t-elle, le moyen le plus efficace pour réduire les dommages du régime mondial de prohibition est de mettre les drogues sous contrôle grâce à une régulation responsable.
Ce rapport doit être un électrochoc mondial. Notamment en France, où le débat politique est médiocre par rapport aux autres pays européens. Les membres de la commission mondiale, anciens présidents et leaders mondiaux, ne sont ni des extrémistes ni des irresponsables. Ils ont constaté que la guerre aveugle aux usagers comme aux trafiquants produisait de nombreux dégâts sur la santé et la sécurité des communautés, sans pour autant faire baisser les niveaux de l’usage et du trafic. Ils osent donc en tirer les leçons.
Nous laissons la conclusion à Ruth Dreifuss, ancienne présidente de Suisse et membre de la commission mondiale : « Plusieurs pays européens ont pris conscience des dommages causés par les politiques de drogues répressives, ils ont adopté la réduction des risques et des stratégies de traitement innovantes comme l’échange de seringues, les traitements de substitution, la prescription d’héroïne et les salles de consommation à moindre risques, ainsi que la dépénalisation de la consommation et de la possession de drogues pour un usage personnel. Ces mesures sauvent des vies et améliorent la sécurité, mais elles ne représentent que la moitié du chemin pour une gestion responsable des drogues dans nos sociétés. Réguler l’ensemble de la chaîne, de la production à la vente au détail, permet de s’attaquer aux organisations criminelles, assure des normes de qualité et protège la vie, la santé et la sécurité des personnes « .