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La politique française des drogues : l’impossible évolution ?

Publié le 26 novembre 2014 par Donquichotte

Le récent rapport du comité d’évaluation des politiques publiques consacré à la politique de lutte contre les drogues dresse un constat édifiant des résultats : la confrontation entre l’augmentation des usages et celle des sanctions, entre la diversification des usages et la complexification de la politique judiciaire, signe l’échec d’une politique centrée sur l’interdit pénal, notamment pour le cannabis. Cette double tendance à la hausse devrait ouvrir un débat sur la nécessaire évolution de la politique. Mais le système politique français manichéen aboutit à la triste juxtaposition de deux propositions qui s’ignorent. Certes, et c’est une première, ces propositions évoquent la nécessité de dépasser la loi de 70, mais comment ne pas regretter ce face à face stérile.
D’autant que le reste du constat est tout aussi intéressant : il souligne la confusion qui résulte d’un système où les interventions s’entremêlent jusqu’à l’absurde. L’addiction est un problème majeur, la lutte contre la drogue mobilise bien des énergies, les politiques n’en finissent pas de promettre des mesures et actions toutes plus vigoureuses les unes que les autres, mais le rapport dévoile un budget de la Mildeca en baisse, et un entremêlement des financements et des modes d’action telle que l’on ne sait plus qui fait quoi et pour quel prix et à quel résultat. La traçabilité imposée aux autres ne s’applique pas à l’action de l’état dans ce domaine pourtant prioritaire.

L’exemple de la prévention est significatif : la faiblesse du budget est rappelé, bien inférieur aux budgets dits d’application de la loi et à ceux des soins. Financement d’autant plus faible qu’il est un des derniers à être non pérenne, et nous en voyons les conséquences dans les coupes budgétaires actuelles. Les déclarations de principes sur la nécessité de s’appuyer sur la science et les études validées se succèdent, mais la moitié de la seule page de la synthèse consacrée à la prévention porte sur un regroupement des actions des intervenants polices et gendarmeries, considérés comme des acteurs essentiels de la prévention. Si ils ont un rôle légitime dans la dynamique de prévention, la place qui leur est ici accordée est significative d’une société qui n’envisage que la menace et la peur pour faire réfléchir sa jeunesse. Les autres propositions sont au demeurant logique, recenser les actions de prévention, assurer l’information de tous et organiser la cohérence en s’appuyant, au plan national, sur la nouvelle commission des programmes de prévention. Mais ces principes qui vont dans le bon sens ne cachent pas l’absence de toute avancée sur l’organisation concrète et pragmatiques de la prévention, sinon l’habituelle et facile condamnation de la dispersion des actions (1800 citées).

Sur les propositions concernant les soins, les deux pages illustrent la difficulté de diffuser équitablement sur le territoire les réponses nécessaires. Les inégalités territoriales et la nécessité d’aller vers les usagers oubliés sont évidentes à la vue des cartes qui montrent le déploiement des CSAPA et des CAARUDs. Et l’effet aurait été encore plus net si ces cartes avaient pu aller un peu plus dans le détails comme révéler l’effet illusoire de certains CSAPA dit « généralistes » qui cache souvent l’incapacité à assurer pleinement la double compétence alcool et drogues illicites, notamment un bon accès aux TSO, ou comme montrer l’effectif réduit de certains Caarud qui doivent fonctionner avec deux ou trois salaries pour faire l’ensemble des missions. A l’inverse, il aurait fallu également souligner le rôle des médecins généralistes (plus qu’une simple porte d’entrée dans le soin, mais acteur du soin) et des pharmaciens d’officines, acteurs important de l’accès aux TSO et au matériel de réduction des risques. Au regard de ce constat, les proposions sont faibles : renforcer l’enseignement, mais enseigner une matière ne se traduira pas automatiquement par une plus grande appropriation des pratiques. Saluons la reconnaissance de la nécessité d’un soin résidentiel adapté aux situations difficiles. De même que la reconnaissance de l’intérêt du travail convergent apporté par les réseaux, pourtant financièrement mis à mal et par la fonction pivot des Csapa. Cela pourrait aider à sortir des constructions complexes et labyrinthiques des instances régionales et autres de pôles de compétences dans lesquels biens des énergies et des budgets se perdent.

Enfin, la réduction des risques à elle aussi droit à deux pages, signe de la place qu’elle tient désormais. Mais cette apparente sollicitude cache une vision encore bien étriquée, limitée à des outils : – les Traitements de Substitution aux Opiacés, pour lesquels la seule mesure proposée vise à lutter contre le trafic, sans parler de l’évolution des galéniques, morphine et autres héroine injectable ;
– les Programmes d’Echange de Seringues, tout en évoquant l’intérêt d’étendre cette mesure à la prison. Le débat sur la nécessaire évolution et relance de la RDR se résume à un “pour/contre” une salle de consommation à moindre risques. Rien sur les évolutions nécessaires pour répondre aux nouvelles pratiques d’achat et d’usage, rien pour détailler les autres possibilités d’aller vers des publics isolés, ou caché. C’est une vision défensive qui continue d’être proposée.

Au total, le rapport dévoile l’échec d’une politique trop centrée sur une pénalisation des usages dont elle échoue à contenir l’augmentation. Mais les évolutions possibles sur des alternatives techniques, les débats ouverts sur la régulation et l’accès aux soins dans leur diversité sont oubliées. Le bilan est évident, les chiffres sont blessants, surtout par comparaison avec ce qui se passe ailleurs. Réfléchir à d’autres orientations serait légitime. Saurons nous le faire ?


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