Les archéologues sont-ils tout proches de la tombe d’un souverain aztèque ? Les découvertes, en tout cas, s’accumulent.
L’empereur aztèque Ahuítzotl (page du codex Mendoza)
Ses conférences sont attendues avec impatience. Depuis que Leonardo López Luján, a pris la tête des fouilles de la zone du Templo Mayor, le plus célèbre monument de l’ancienne capitale des Aztèques, il est rare qu’il parle pour ne rien annoncer. Il faut dire que la zone autour de ses ruines, celles d’un temple pyramidal et double, longtemps cru oublié sous la ville de Mexico, renferme une richesse archéologique sans beaucoup d’équivalent dans cette région du monde. Au total, les archéologues ont mis au jour plus d’une centaine d’offrandes contenant en tout plus de 50 000 objets, qui témoigne de la religiosité très forte des Aztèques. Et c’est ainsi que le 30 novembre dernier, Leonardo López Luján a annoncé la découverte d’un mystérieux tunnel de 8,4 mètres et plus encore, courant sous une vaste plate-forme circulaire où les souverains aztèques étaient peut-être incinérés. Bref, le lieu idéal où pourraient se trouver leurs restes, une découverte qui serait exceptionnelle et sans précédent.
Seulement, les archéologues sont prudents, et c’est peu dire. Car ce ne serait pas la première fois qu’ils seraient échaudés. Tout commence en effet le 2 octobre 2006, lorsqu’un ouvrier employé dans les travaux de construction d’un musée se hasarde à introduire son pic hors des limites prévues. Il sent quelque chose de dur. Appelés un peu plus tard sur les lieux, les archéologues découvrent progressivement une énorme dalle de pierre sculptée, originellement d’une seule pièce et pesant douze tonnes. Ils y reconnaissent peu à peu Tlaltecuhtli, déesse de la terre (mère de toutes les créatures et astres de l’univers) et de la mort (c’est aussi elle qui les dévore). La déesse sculptée et peinte est donc couchée exactement au pied des escaliers qui menaient au sommet du temple.
Du coup, plus de musée, et les archéologues obtiennent le droit de se lancer dans des fouilles. Car qui a bien pu commander un tel ouvrage, si près du plus grand monument des Aztèques ? Ne serait-ce pas l’un de leurs souverains les plus flamboyants, Ahuítzotl, mort en 1502 une vingtaine d’années avant la conquête espagnole ? Selon les textes, il aurait été incinéré près du temple. D’ailleurs, un élément de la sculpture semble justement rappeler cette date. En outre, des images radar indiquent qu’il y a quelque chose en-dessous…
Raté. En dessous, il n’y a d’abord rien. Puis en continuant de creuser, les archéologues mettent au jour une autre dalle rectangulaire, beaucoup plus petite. Plus tard, pataugeant dans l’eau de l’ancien lac qui entourait il y a des siècles la capitale aztèque, que des pompes aspirent jour et nuit, les archéologues découvrent la plus riche offrande de l’histoire de l’archéologie mexicaine. Une profusion de statues, des squelettes d’une louve, de pumas, de jaguars, de rapaces et de serpents, des milliers d’animaux marins importés du Pacifique et de l’Atlantique − coraux, conques, étoiles de mer, poisson-scie, etc. Mais… pas de cendres.
Par contre, à la tête de la déesse, s’enfonce un puits à degrés inversés. Cette disposition, qui reproduit la conception aztèque de l’univers, est présente dans certaines sources pictographiques : le puits paraît clairement mener au royaume des morts. Les archéologues s’attellent alors à sa fouille. Ils y découvrent une offrande, mais bis repetita, pas de cendres. Ils continuent de creuser, tombent à nouveau sur un puits similaire, et une offrande, puis encore un puits, une offrande… Mais de cendres, point. En fait ce trou avait été plusieurs fois reconstruit, à la faveur de changements de niveau de l’esplanade qui borde le temple.
En 2011, l’espoir renaît. À quelques mètres de la déesse, toujours au pied du temple, ils découvrent une vaste plate-forme, d’une quinzaine de mètres de large, et ornée de 19 têtes de serpents (vidéo). Or c’est justement sur une plate-forme au pied du Templo Mayor que des manuscrits semblent représenter l’incinération des souverains aztèques. Celle-ci est d’ailleurs consacrée au principal dieu aztèque, Huitzilopochtli, figuré par un soleil et pourrait avoir été construite pendant le règne d’un des frères d’Ahuítzotl, entre 1469 et 1481.
En dégageant la plate-forme, les archéologues mettent au jour une grande dalle d’origine volcanique. Toute lisse, sans sculptures, elle paraît tout à fait inhabituelle. Quand ils retirent ce bloc de trois tonnes en 2013, ils trouvent deux cavités, contenant des offrandes. La première était remplie des pierres d’un mur avec au fond les os d’une main et de deux pieds, ainsi que deux crânes d’enfants, probablement décapités. Il y a également des couteaux de sacrifice, un objet doré, et des os d’aigles. La deuxième cavité contient le crâne d’une femme adulte. Mais là encore, évidemment, pas de cendres. Les archéologues se préparaient donc à tout refermer, quand…
Un des archéologues décèle l’entrée d’un passage qui semble s’enfoncer dans la plate-forme cérémonielle. Le passage est plutôt étroit, de la hauteur d’un petit homme. Après avoir enlevé les pierres et la terre qui l’encombraient, ils se rendent compte qu’il mène directement jusqu’au cœur de la plate-forme, se terminant en impasse. Mais en chemin, le passage longe deux entrées murées face-à-face. Serait-ce des caveaux ? Qui seraient ceux des souverains ? Leonardo López Luján, instruit par l’expérience, reste prudent. Une chose est sûre, les fouilles, interrompues pour l’instant, vont reprendre début 2016.
#Entérate Revelan hallazgos durante la Primera Mesa Redonda de #Tenochtitlan. https://t.co/3SjWI0eU3Q pic.twitter.com/pdb9BNfaJh
— INAHmx (@INAHmx) 1 Décembre 2015
Nicolas Constans
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Compléments
Je remercie Leonardo López Luján d’avoir bien voulu relire l’article. Je souhaitais faire un billet sur l’avancée de la fouille, parce qu’elle est importante pour la connaissance des Aztèques. Mais qu’il soit bien clair qu’elle n’est qu’à un stade préliminaire. Depuis de nombreuses années, son avancée est décrite par les communiqués de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire mexicain. Sur les découvertes les plus récentes notamment, il n’y a pas encore de publication scientifique qui permette à la communauté des archéologues de discuter en détail de ce qui relève des faits et des interprétations. Cela n’enlève rien, bien sûr, à l’intérêt de la fouille, mais il faut s’attendre à ce que la compréhension de tous ces éléments évolue d’ici quelques années. Il existait d’autres plate-formes, par exemple, et les textes ne précisent pas exactement où se trouvaient les cendres des souverains.
Le communiqué de l’INAH en espagnol.
En face, les archéologues ont également découvert en 2012 une souche de chêne, représentant le mythe aztèque de création du monde (l’un des quatre arbres qui soutenaient la voûte céleste, voir ici) À une trentaine de mètres, se trouvait la sépulture d’une femme entourée de milliers d’ossements humains, appartenant à des adultes et à des enfants. Cet automne, des archéologues ont également découvert un râtelier de crânes (voir également ici). Ces fouilles sont réalisés par les équipes du Programme d’archéologie urbaine, très impliqué également dans la mise à jour de la plate-forme.
Comme d’habitude, je ne peux que recommander la lecture du blog Mexique ancien pour qui souhaite se tenir au courant des avancées de la recherche archéologique en Amérique centrale. Vous y trouverez notamment la vidéo de la conférence, en espagnol (qui semble temporairement indisponible) et bien d’autres articles.