Les poèmes de Robert de Montesquiou consacrés au Roi Louis II de Bavière (3): Salle comble

Publié le 11 décembre 2016 par Luc-Henri Roger @munichandco

Salle comble, un poème du Comte Robert de Montesquiou-Fezensac, publié dans son recueil Les chauves-souris : clairs-obscurs, édité par G.Richard à Paris à partir de 1893. (Notre extrait: pages 268 à 271 de l'édition remaniée de 1907). Le poème traite du goût du Roi pour la solitude, tant dans ses châteaux où il aimait à dîner avec des fantômes royaux du 17e siècle français, que dans les représentations séparées au théâtre, où les acteurs jouaient devant le Roi seul pour toute audience.

Il s'agit du premier poème d'une série tout entière dédiée au Roi Louis II de Bavière et dont le titre général est REX LUNA (Le Roi lune)

Le Comte Robert de Montesquiou(1855-1921)

Le comte Robert de Montesquiou, est un homme de lettres, un dandy et critique, né à Paris le 7 mars 1855 et mort à Menton (Alpes-Maritimes) le 11 décembre1921. Poète, homosexuel et dandy insolent, il aurait servi de modèle à des Esseintes dans À Rebours (1884) de Huysmans. Il fournit à Marcel Proust l'un des modèles du Baron de Charlus dans À la recherche du temps perdu, ce qui le rendit furieux malgré les dénégations de Proust.

(Plus sur Wikipedia, source de cette introduction biographique)

Les ténèbres et lui se parlaient.


Puisqu'il aimait traiter des ombres
A dîner dans ses châteaux bleus
Qui gardent les souvenirs sombres
De ces rendez-vous fabuleux ;
Puisqu'il osait donner des fêtes
A des Maréchaux trépassés
Dont les perruques et les têtes
Sont des oublis et des passés ;
Puisqu'il engageait des fantômes,
Des revenants, à ses repas,
Et qu'il percevait leurs atomes
Et prétendait ouïr leurs pas ;
Tout s'explique : sa solitude
Et la représentation
Où toute une sollicitude
L'isolait devant l'action.
Un odieux fonctionnaire,
Une vaine dame d'atour
Auraient pris la place ordinaire
De Madame Pompadour,
Et Madame de Parabère
N'eût point goûté l'heur de se voir
Assise à côté de Tibère
Ou bien de Roger de Beauvoir.

La salle, pour lui, n'était pleine
Que, surtout, déserte ! et pourvu
Que nulle figure vilaine
N'en chassât le spectre prévu.
Or on comprend dans quelle rage
Il était mis par un intrus
Osant accaparer, outrage!
Cette place des disparus.
A ses yeux errant sur le vide
Des balcons hantés d'irréel,
Il fallait cet appoint livide
D'auditeur immatériel.
Il promenait sa vue insigne
Sur ces invités incertains
Lorsque Lohengrin sur son Cygne
Arrivait du fond des lointains..,

C'était, entre les faces mortes
De tous les maîtres oubliés,
Les types sortis en cohortes
Des livres lus et reliés ;
Briséis, à côté d'Homère ;
Shakspeare près d'Ophélia ;
Tout ce que le mythe agglomère,.
Et ce que l'art multiplia ;
Lesbie, à côté de Catulle,
Tibulle, à Délie accolé :
Catulle qui finit en tulle,
Et Tibulle en bulle envolé.
Il en essaimait des mémoires,
Il en émanait des tableaux;
Les unes, en robes de moires,
Et les autres en blancs péplos :
Les favoris d'Elagabale,
Et les mignons de Henri Trois ;
Les femmes de Sardanapale,
Et tous les goûts de tous les rois ;
Napoléon Trois en déroute
Et Louis Treize qui pâlit ;
Nabuchodonosor qui broute
Près d'Osymandias qui lit ;
Les grandes Muses inspirées,
Sapho, Sévigné, Staël et Sand,
Toutes les belles admirées
De tout le passé repassant,
Comme ce qui, d'une lecture,
Revient par bribes et s'en va,
Et qui peuple une architecture
De mille fronts que l'on rêva.
Et, rentré dans sa chambre ambrée,
A l'atmosphère d'encensoir :
" Nous avons eu belle Chambrée,
Murmurait Louis Deux, ce soir. "