Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer.
Tout le monde connaît l'expression, son sens, qui est promesse de ne pas mentir, si personne ne sait quelle en est l'étymologie. Le titre du roman, Croix de bois, croix de fer, de Thomas Sandoz, qui en reprend le début, est explicite: le narrateur fait la promesse au lecteur que ce qu'il raconte est vrai.
Deux frères ne s'aimaient pas d'amour tendre. L'aîné a toujours traité son cadet de bon à rien. Il s'est toujours donné le beau rôle et a toujours donné les comportements de son frère en exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Mais, bien souvent, ceux qui disent aux autres ce qu'ils doivent faire ne le font pas eux-mêmes...
L'aîné (de quatre ans) du narrateur a fait le récit de sa vie dans un livre. Mais celui-ci ne peut laisser prendre pour argent comptant ce qu'y dit son bon garçon de frère: Pouvait-on croire ce qu'il avait écrit dans son autobiographie, un ramassis d'exagérations et de poncifs qui nous avait à jamais éloigné l'un de l'autre?
Le narrateur, après la mort précoce de son frère, est appelé à témoigner de ce qu'il sait de lui, lors d'un colloque intitulé L'impératif missionnaire. Ce colloque se tient, pendant un week-end, dans un hôtel d'altitude, situé dans l'Oberland bernois, le Rotary Spa Resort. Il compte profiter de l'occasion pour rétablir une certaine vérité.
Son frère était devenu missionnaire en Afrique, suivant en quelque sorte l'exemple de leurs parents, qui s'y étaient rendu en 1966 et y avaient travaillé pour une mission protestante, avant de retourner en Suisse quelque temps, semble-t-il, avant la naissance du narrateur en septembre 1971.
Le roman est à la fois le récit de la vie du narrateur et de son frère, de celle de ses parents, de ses oncles et tantes, le récit de ses relations difficiles avec son frère, et le récit du déroulement du colloque où ne sont acceptés que des propos hagiographiques sur le prétendu martyr disparu, ce qui ne peut qu'indisposer le survivant.
Toutes ses tentatives de prise de parole sont empêchées. Sa propre intervention est indéfiniment repoussée. Il faut croire qu'on attend tout autre chose de cet hybride façonné par le creuset familial: un agnostique pétri de valeurs protestantes. La culpabilité et le sens du devoir, sans l'espérance ni la justification.
Il faudra attendre la fin du colloque pour que le lecteur et le narrateur sachent de quoi il retourne. En attendant, le portrait de plus en plus précis que ce dernier dresse de son frère, à partir de ses réminiscences, est celui de quelqu'un qui recherche la pureté de l'Église, sous les apparences d'un profil agréable
Le plus terrible est que les soi-disant purs, qui ne le sont pas toujours, et qui sont souvent dangereux, arrivent à discréditer tout ce que peuvent dire ceux qui ne prétendent pas l'être. Alors, dans ces cas-là, à quoi bon tenter de rétablir une certaine vérité? C'est partie perdue d'avance. N'est-il pas vain de s'y livrer?
Francis Richard
Croix de bois, croix de fer, Thomas Sandoz, 336 pages Grasset