L'anniversaire de sa disparition, il y a quelques semaines, 31 ans après sa mort, a permis de le constater à nouveau : Abdel Halim Hafez (عبد الحليم حافظ), la grande vedette, avec Oum Kalthoum, de la chanson égyptienne des années 1950 n’a rien perdu de sa popularité. A en croire cet article dans Al-Hayat, les enregistrements du "rossignol brun" diffusées en cassettes audio – le format audio qui reste encore le plus accessible aux classes populaires – se sont vendus à plus de 150 000 exemplaires. L’éditeur musical, Sawt al-fann, en a aussitôt remis sur le marché 100 000 (à titre de comparaison, 15 000 seulement pour les CD audio).
Si la "chanson de papa" conserve son public, la jeunesse locale a depuis longtemps opté pour la musique de sa génération, la jeel music, sorte de techno-pop arabe apparue dans la seconde moitié des années 1990. Produit de masse souvent considéré comme vulgaire, tant sur le plan de la qualité musicale que des paroles et des modèles qu’elle véhicule, la jeel music se rachète une conduite depuis quelques années en faisant des incursions du côté d’une chanson islamique à la fois modernisée et mondialisée (voir ce billet).
Depuis quelques années, une autre voie est peu à peu ouverte par quelques musiciens locaux, parfois associés à des aventuriers de la musique provenant d’autres horizons et séduits par la scène égyptienne.
Fondé en 1999, le groupe Wust el Balad (وسط البلد – Centre ville) illustre bien cette tendance. Rejoints par des musiciens venus de toutes les régions de l’Egypte et en particulier du vivier des familles nubiennes émigrées au Caire, véritable creuset des nouvelles musiques, les deux copains de lycée ont sorti leur premier disque, après des années de galère. (Extraits musicaux et infos sur leur site, en anglais.)
Plus récent, le groupe Massar Egbari (مسار إجباري – Sens obligatoire), né à Alexandrie, appartient au même courant, mais avec peut-être plus d’exigences, notamment sur le plan de la démarche musicale. Comme l’explique Aymane Massoud (أيمن مسعود), le pianiste leader du groupe, dans cet entretien pour l’Ahram hebdo, il s’agit bien de refuser une société "machine à production de stéréotypes qui envahissent nos pensées et accaparent nos sentiments jusqu’à étouffer en nous toute velléité de création et d’innovation". (Vidéo d’un concert à Malte en 2007 qui montre bien la manière dont ce rock oriental revisite la tradition.)
Héritières des traditions du Nil, ces nouvelles musiques revendiquent leurs racines à la fois arabes et africaines. De ce point de vue, l’itinéraire musical de Fathy Salama (فتحي سلامة) est sans doute le plus abouti. Né dans le quartier populaire de Shoubra où il apprend le piano dès l’âge de six ans, Fathy Salama fait ses classes musicales, notamment dans le monde du jazz, aux USA et en Europe. De retour en Egypte, il entame dans les années 1980 une brillante carrière dans le monde de la jeel music, compose des musiques de film à succès, avant d’abandonner un univers qui propose une musique qu’il juge non seulement sans intérêt mais dangereuse, au point que sa diffusion devrait être accompagnée d’un avertissement, comme pour les paquets de cigarettes, affirme-t-il dans un entretien !
Fondé en 1989, son groupe, Sharkiat (شرقيات - Orientales), est le résultat d’une conversion musicale qui désoriente les milieux de l’industrie de la musique mais qui reçoit malgré tout un prestigieux couronnement international avec un Gramy Award dans la catégorie World Music obtenu en 2004 pour un album avec le Sénégalais Youssou N’dour, sous le titre : Egypt : Sant Allah ("Merci Dieu" en wolof).
Une visite sur le site (en anglais) de cet artiste en perpétuelle recherche (extraits musicaux disponibles) permet de comprendre l’ambition d’un projet qui, né de la lassitude de voir les traditions arabes pillées par les boîtes à rythmes, entend bien exploiter les ressources de la musique électronique pour redonner aujourd’hui à ces traditions musicales toute leur place.
Homme de toutes les musiques, Fathy Salama apporte sa couleur personnelle à cette chose difficile à décrire que l’on appelle "jazz oriental". Dans cette ligne, la scène égyptienne propose une autre tentative qui mérite d’être écoutée, celle de Bakash (présentation et écoute en suivant ce lien), un trio assez original qui regroupe un franco-syrien, Naïssam Jalal à la flute, et deux Américains, Colter Frazier et Miles Jay, au saxo et à la basse.
La sélection mérite certainement d’être étendue : merci d'avance pour les suggestions !