Jean-Christophe Rufin n’oublie pas son statut d’académicien,
en charge avec ses pairs d’un dictionnaire. Il redit donc, en postface de son roman, après l’avoir évoqué dans le texte, pourquoi il a choisi le
titre : Check-point. Les
équivalents en français, « point de contrôle » ou « poste de
contrôle », ne lui ont pas paru satisfaisants. Parce qu’ils ne restituent
pas une caractéristique du check-point, « expression
du chaos, de la violence et du morcellement que connaissent les pays soumis à
une guerre civile ». Ici, la Bosnie en 1995, parcourue par deux
camions en fin de vie, convoi humanitaire parti de France avec cinq personnes.
Elles sont les protagonistes d’un drame dont les éléments
sont fournis petit à petit, avec un sens de la narration digne d’un thriller.
Rufin est un raconteur d’histoires et nous attache à celle-ci à travers les
affinités et, surtout, les divergences de ces partenaires d’occasion. Il y a
Lionel, le plus ancien de l’association lyonnaise « La Tête d’Or »,
chef de l’expédition. Mais dont l’autorité est fragilisée par le manque
d’expérience sur le terrain, surtout face à Alex et Marc, d’anciens militaires
qui ont servi en Bosnie. De Vauthier, on ne sait d’abord que ce qu’il a bien
voulu dire, et c’est très loin de la réalité. Au milieu des quatre hommes,
Maud, une jeune femme qui refuse sa féminité, se méfie des hommes et d’elle-même.
L’ambiance n’est pas très bonne dans un groupe où tous,
pourtant, ont en principe le même but. La présence de Maud se révèle source de
conflit entre Lionel et Marc. Et l’on voit les coqs prêts au combat. Mais le principal
nœud est ailleurs : tous n’ont en réalité pas le même objectif, l’engagement
humanitaire pouvant prendre des sens très différents selon la vision que l’on a
du terrain sur lequel se jouent des vies humaines.
Jean-Christophe Rufin, l’homme aux plusieurs vies, connaît
cela par cœur. Avant d’avoir été lauréat du Goncourt, ambassadeur de France au
Sénégal ou académicien marcheur sur le chemin de Compostelle, il a été médecin
tôt engagé dans Médecins sans frontières. Son parcours l’a amené en Bosnie et
il avait déjà envisagé les ambiguïtés de l’action humanitaire dans un roman, Les causes perdues, publié il y a plus
de quinze ans. La question n’est, à l’évidence, pas complètement résolue dans
son esprit. Puisque, par le truchement d’un roman très romanesque, avec la peur
à chaque barrage et une poursuite mortelle dans les montagnes, il envisage de
front plusieurs démarches contradictoires.
Aucune hiérarchie ne se dégage entre le récit et les interrogations qui
le traversent. Impossible d’affirmer que le premier est articulé sur les
secondes, ou le contraire. C’est à la fois la force et la faiblesse de Check-point. Sa force, parce que rien ne
fait écran, pour le lecteur, au voyage qu’il accomplit avec les personnages. Sa
faiblesse, parce qu’on aurait peut-être aimé obtenir des réponses plus claires
aux questions posées. Mais, après tout, ce n’est probablement pas la fonction
d’un roman.