Avec Sigfox et LoRa, la France fait figure de pionnière dans le domaine de l'Internet des Objets. Une position qui se heurte à l'approche américaine qui n'hésite pas à classer ces réseaux au rang des inventions sans suite, au même titre que le Minitel ou le Concorde.
On les appelle les réseaux LPWan pour Low-Power Wide-Area Network. Que ce soit sur la technologie LoRa ou le réseau Sigfox, ces réseaux bâtis pour les objets connectés connaissent un succès grandissant dans le monde. Le toulousain annonce ainsi couvrir 1,6 million de km2 dans 26 pays, tandis que la liste des membres de l'alliance LoRa ne cesse de s'allonger. Leur succès est réel et les analystes estiment que Sigfox pourrait faire partie du club fermé des "licornes" très prochainement.
Si ce succès est indiscutable, la dernière édition du salon Smart City / Smart Grid a été le théâtre d'un débat animé sur le thème des réseaux IoT et de l'avenir de ces réseaux LPWan. Parmi les questions soulevées lors de ce débat, comment se comporteront ces réseaux alors que le nombre d'objets connectés va exploser dans les années à venir.
Les réseaux et les objets
Rémi Demerlé, directeur du développement de Semtech, l'entreprise qui développe la technologie LoRa, rappelle : "La technologie LoRa a été développée au départ pour les compteurs d'eau, généralement situés en sous-sol et qui ne permettait pas un déploiement de technologies 2G avec un ratio coût/bénéfice satisfaisant. LoRa a été développé afin de résoudre ce problème et Veolia a déployé la solution sur 5 millions de compteurs. Aujourd'hui, Veolia réalise 130 millions d'échanges par jour et ce déploiement massif a démontré tout l'intérêt de disposer d'une technologie qui envoie directement l'information." Autre atout offert par la technologie LoRa, la grande latitude de choix offerte à ses utilisateurs qui peuvent choisir librement leurs fabricants de modules compatibles, les opérateurs de réseaux ou même choisir de déployer leurs propres antennes. Une antenne ne coûte que 500 euros environ et il n'est pas nécessaire de demander une licence d'exploitation pour pouvoir l'utiliser.
Pour Patrizio Piasentin, directeur Europe du sud du fondeur américain Silicon Labs, cette trop grande liberté est dangereuse : impossible de laisser tous les industriels, les opérateurs installer librement leurs antennes et déployer des millions d'objets connectés sans pouvoir garantir la moindre qualité de service. "A un instant t, une antenne ne pourra écouter que quelques dizaines de milliers de messages et ce, dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. Que se passera-t-il si chaque Français ne dispose ne serait-ce qu'un seul objet connecté ? Tous les tests qui sont menés actuellement sont réalisés sur des réseaux où il y a très peu d'objets connectés mais les lois physiques dictent qu'une antenne ne pourra pas écouter plus de 10 000 objets..."
Sigfox et LoRa pas égaux face au risque de saturation
Selon les experts, il est important de comprendre tout d’abord qu Sigfox et LoRa ne sont pas égaux face à ce risque de saturation. Les deux technologies utilisent bien les mêmes bandes de fréquences mais Sigfox est un réseau de type Ultra Narrow Band alors que LoRa utilise la technique du Spread Spectrum, c'est à dire l'étalement de spectre. Cyrille Le Floch, fondateur de Qowisio, une startup qui crée des objets connectés low-cost mais qui opère aussi son propre réseau LPWan sur ces fréquences explique pourquoi il a fait le choix de l'Ultra Narrow Band, comme Sigfox : “si la limite d'écoute d'une antenne LoRa est de l'ordre de 10 000 objets connectés, cette limite passe à 100 000 pour l'Ultra Narrow Band.” Il estime ainsi que lorsqu'il y aura des millions d'objets connectés, des dizaines de milliers localement sur un territoire, cette technologie leur donnera une chance supplémentaire de ne pas être brouillés.
Mais face au risque d'engorgement des fréquences exploitées par Sigfox et LoRa, Rémi Demerlé rétorque qu’il existe des solutions : "Deux solutions se profilent pour résoudre le problème de l'occupation et de la densité des objets connectés dans une cellule. Le premier outil à la disposition de l'opérateur, c'est la simulation déterministe. Il peut savoir, par le calcul, quelle sera la zone précise de couverture de chacune de ses antennes en fonction de la géographie des lieux, de la position de chaque bâtiment." Les opérateurs vont donc pouvoir densifier leurs réseaux d'antennes dans les zones les plus sollicités. Une logique qui peut aller très loin puisque le câblo-opérateur américain Comcast compte équiper ses box d'une picocell LoRa afin de connecter tous les objets communicants de la maison.
Et si Sigfox et LoRa n'étaient que des solutions transitoires ?
Au-delà de ces réseaux "Made in France", se profilent à l'horizon de nouvelles technologies qui vont venir concurrencer au moins en partie ces réseaux LPWan. C'est notamment le cas des réseaux cellulaires qui vont enfin apprendre à parler aux objets connectés. En effet, la 4G évolue afin d'accueillir les objets connectés avec les standards LTE-M et le NB-IoT (NarrowBand IoT).
"Le NB IoT est présenté comme une "killer app " pour les objets connectés" reconnaît Rémi Demerlé. "Beaucoup plus rapide que les technologies LPWan, le NB-IoT aura des avantages en termes de latence et va répondre à certains besoins telles que les systèmes d'alarme. Néanmoins le déploiement de NB-IoT va nécessiter des cellules encore plus denses. Or aujourd'hui, le réseau LTE ne couvre que 20% du territoire français. Les opérateurs ne déploient qu'aux endroits où sont concentrés les utilisateurs de smartphones et pas nécessairement là où sont les besoins en IoT."
Mais pour Patrizio Piasentin, aucun doute n'est possible, une partie du marché IoT va aller vers LTE et pour lui, LoRa n'est qu'une solution transitoire promue par les opérateurs cellulaires afin de contenir Sigfox, le temps que les évolutions IoT de LTE soient réellement opérationnelles. "Les opérateurs français voyant arriver Sigfox et qui n'avaient pas de solution à lui opposer ont voulu mettre en place une offre intermédiaire avec LoRa. Ce n'est qu'une solution transitoire, car à partir du moment où la qualité de service va se dégrader, ils pourront proposer LTE à leurs clients. Pour nous, les LPWan sont des solutions transitoires, en attendant TLE pour IoT." En 2017, les réseaux LTE pourront ainsi être rendu compatibles avec ses nouveaux standards par simple mise à jour logicielle.
Avec NB-IOT et LTE-M, la 4G va-t-elle tuer LoRa et Sigfox ?
Pour Cyrille Le Floch, il n'y aura pas qu'un seul gagnant : "Nous aurons à notre disposition de multiples technologies afin de répondre à des besoins très différents. Le choix d'une technologie est notamment lié au TCO de l'objet connecté, c'est à dire à son coût complet, depuis le composant jusqu'au service réseau sur sa durée de vie." Récemment, Sigfox a annoncé une baisse des prix de ses puces. Il est désormais possible de connecter un produit à son réseau avec une puce de 2 dollars seulement. Peu à peu une hiérarchie va naturellement s'instaurer avec les LPWan pour les objets connectés les moins coûteux et LTE et ses diverses déclinaisons au-dessus. Où se fixera la ligne de partage ? Le prix, la consommation énergétique mais aussi la qualité de service réelle offerte par chacun tracera la frontière pour les industriels.