Recentrer La Conversation

Publié le 08 décembre 2016 par Hunterjones
Tu t'appelle Rosetta
Je m'appelle Rosetta
Tu as trouvé du travail
Je me suis trouvé du travail
Tu as trouvé un ami
Je me suis fait un ami
Tu as une vie normale
J'ai une vie normale
Tu ne tomberas pas dans le trou
Je ne tomberai pas dans le trou. 
Bonne nuit
Bonne nuit.

C'est la formidable Émilie Dequenne dans le tout aussi formidable film des frères Dardenne,  Rosetta, qui se murmure pour elle-même, telle une prière, ces mots avant de s'endormir. Afin de recentrer la conversation sur sa vie de misère, prise entre une mère alcoolique sans le sou et son propre tempérament explosif et fougeux. Plus tard dans le film, un clin d'oeil à cette même scène est tout simplement...formidable (je manque d'adjectifs...je sais)
Les (formidables) Frères Dardenne filment beaucoup comme Ken Loach. Mais en français. Ils viennent de la même école (le documentaire) et s'intéressent aux même sujets (le regard sur ceux qui coulent et qui sont en mode survie). Il n'y a jamais de musique extradiégétique dans leur cinéma, pas même aux génériques. Une musique intradiégétique est une musique dont on voit la source à l'image. Une radio, un système de son, une télé, une musique qui fait parti des sons que l'on peut comprendre à l'image, qui a une explication visuelle dans l'histoire en cours. Une musique extradiégétique c'est souvent sur une scène triste et sentie, toujours dans un générique, et c'est cette musique qui vient appuyer la scène et nous diriger vers une émotion. Cette musique qui ne vous fait pas oublier que vous regarder un film. Dans un film des frères Dardenne, on oublie qu'on est dans un film. On est plongé dans une réalité. Toujours portée par des comédiens formidables. Tout ce qu'il y a de plus humbles. Mais compliqués aussi. Imparfaits, Humains. Faut voir pour comprendre. Mais je crois que vous voyez le genre.

On ne veux pas tous voir la même chose au cinéma. La plupart des gens veulent se sortir de l'étouffant quotidien et se faire transporter dans un ailleurs fantasmé qui leur piquera 2 heures de la couleur du jour pour leur offrir 2 heures de divertissements. Mais aller au cinéma, c'est aussi avoir une communion, une conversation avec son époque. Avec un sujet. Avec des réalités.
En allant voir American Sniper, je sympathise (ou pas) avec un militaire, champion du coup de fusil, dont je devrai épouser les valeurs. En allant voir Irréversible, j'accepte la proposition d'un réalisateur qui dit mollement "J'avais envie de filmer un viol". Etc.
Tous les films sont une proposition.
On a tous besoin de propositions différentes. Je sais que les films que j'aime ne conviennent pas à tous. Je suis exigeant par rapport aux films que je vois, J'en ai trop vu pour supporter certaines choses. L'amoureuse est nettement moins difficile. Elle est même championne du grand public. Si c'est populaire, ça doit être pas pire. Je suis le contrepoids critique. À deux, on s'équilibre. La semaine dernière, pendant que ma fille me tirait le bras pour suivre une série sur Netflix*, l'amoureuse a voulu se choisir un film sur une autre télé, toujours sur Netflix, à écouter toute seule. Honnêtement, on a dû passer au dessus de 100 films sans y trouver quoi que ce soit qui nous eût inspiré. RIEN. Je dis "on" parce que je l'ai aidé en tentant de l'informer sur certains films et je sais en gros ce qu'elle aime et ce qu'elle pourrait ne pas aimer du tout. La différence entre elle et moi c'est que, pour ma part, je sais toujours ce que je vais regarder, choisir, ou voir. Tandis qu'elle, se laisse inspirer de ce qu'on lui propose.

Et j'étais tout aussi sonné qu'elle que, sur plus de 100 films, je dirais que 80% nous était inconnu. Le cinéma ne nous parle plus.
Enfin, CE cinéma-là ne nous parlait affreusement pas. On a finalement misé sur un film sur Illicosans savoir que c'était tourné par Jean-Marc Vallée et que j'ai finalement écouté avec elle tard dans la nuit. Pas mal du tout comme proposition. Aurait fait un meilleur livre encore.
En revanche, en salle, le cinéma nous parle. Y a beaucoup de propositions qui nous intéressent dans le noir ces temps-ci. C'est la saison de généreuses livraisons cinématographiques. ArrivalEdge of Seventeen, Elle, L'Avenir. On ira voir Allied. Parce que Brad Pitt en Québécois, ça nous intrigue. Même si le simple fait qu'il incarne un Québécois confirme que cette histoire vraie l'est assurément très très peu. Mais on ira voir aussi parce que Marion Cotillard. En revisitant Rosetta des frères Dardenne. j'ai aussi visionné Deux Jours, Une Nuit des mêmes frères. Avec Marion Cotillard, incarnant sensiblement le même personnage que Rosetta, mais quelque 20 ans plus tard.

Cotillard devra un jour être placée aux côtés des Gabin, Montand, Signoret. Depardieu, Adjani.
Elle est titanesque. Dolan a eu la chance de travailler avec de l'or.
Mais y a surtout Manchester By the Sea qui nous intéressent. Et sur cette planète de zoufs, qui offre moins de conversations que de monologues sur Instagram, Facebook ou Twitter, DEUX SEULES SALLES présentent ce film qui propose beaucoup d'intelligence et de doigté.

2 !
Kenneth Lonergan tourne aussi la vie beaucoup plus que la fantaisie.
Il tourne l'Homme. Avec un grand H.
Mais les gens ne veulent pas beaucoup voir la vie. Ou les grands H.
Star Wars Rogue se prépare à effacer tous les titres mentionnés plus haut.
2 salles.
J'ai réécouté You Can Count On Me**, le premier (et admirable) film de Lonergan, que j'avais alors acheté tellement j'avais aimé. Et qui semble effleurer la même structure.
Question de faire passer l'indigestion.
Et afin de recentrer la conversation que j'ai avec le cinéma.
Qui ressemble de plus en plus à un monologue
Comme Rosetta dans son lit.
Face au mur
Face aux murs de sa vie.
Tu t'appelle Hunter Jones
Je m'appelle Hunter Jones
Tu n'es pas un personnage de BD
Je ne suis pas...

*Vous ai-je dit que cette saison 1 est formidable?
**Je remarque pour la première fois que Lonergan est en caméo dans le rôle du curé!