Philippe Gürel est dessinateur et illustrateur, mais il est aussi (surtout ?) motard. Rien d'étonnant donc à ce qu'il ait décidé de conjuguer sa passion et sa profession. Travaillant aussi bien pour la presse spécialisée moto que pour des associations, des entreprises, des clubs, des festivals, il crobarde du deux-roues et du gros cube avec une aisance due à sa grande connaissance du sujet. Il chantourne aussi de la pin-up pour conduire ces engins de rêve, tant qu'à faire autant joindre l'utile à l'agréable. Philippe Gürel vient de publier ses deux premiers recueils de dessins, recueils thématiques qui en annoncent d'autres consacrés aux principaux pays constructeurs.
Pour garder une totale indépendance, il a choisi la méthode du crowdfunding, il faut vivre avec son temps, créant pour l'occasion sa propre maison d'édition, Turboflat, ce qui, a priori, lui garantit l'assurance de pouvoir continuer à faire paraître ses " petits " fascicules (60 pages en un joli format carré) sans avoir à subir les affres de la mévente éventuelle et donc ne plus trouver d'éditeur pour poursuivre ses activités. A contrario, ces recueils sont des éditions assez limitées qu'il ne sera pas forcément toujours facile de trouver chez son détaillant habituel. Mais, avec Internet, ce léger handicap n'en est plus vraiment un pour peu qu'on veuille bien se donner la peine de chercher un peu, par exemple sur le site Turboflat.com.
Or donc, ces deux premiers recueils viennent inaugurer un travail graphique de haute tenue, l'un consacré aux flat-twins, motos dotés d'un moteur bicylindre à plat avec un constructeur dominant l'essentiel du marché, BMW, l'autre consacré aux motos américaines avec, là encore, un constructeur quasi hégémonique, Harley-Davidson. Dans les deux cas, Philippe Gürel s'attache à dresser un petit historique du sujet, se faisant un devoir de présenter les modèles les plus mythiques, des plus anciens aux plus récents. Sans oublier les déclinaisons autour des modèles du commerce, café racers, boobers, scramblers, choppers, dragsters, sportives. Les recueils proposent des dessins déjà utilisés par ailleurs, presse, festivals, conventions, publicités, aussi bien que des inédits, le plus souvent finalisés mais aussi à l'état de croquis. Le trait volontairement " crade " de Philippe Gürel se prête admirablement au sujet, donnant une réelle impression de dynamisme, ce qui est un minimum quand on traite d'un domaine dont le maître-mot reste la vitesse. Un dessin étant par définition figé, il faut énormément de talent pour restituer le mouvement de véhicules dont l'accélération et la vélocité ne sont pas les moindres des qualités. Si Philippe Gürel a choisi de traiter des flat-twins pour son premier recueil, ce n'est pas complètement le fruit du hasard, lui-même roulant en BMW. De même que Frank Margerin à qui il a demandé d'écrire la préface de l'ouvrage. BMW qui a longtemps pâti, en France tout du moins, de son image de " moto de flic ", pas très glamour dans un milieu qui se veut souvent, avec plus ou moins de sincérité au demeurant, assez " rebelle ", quoi que veuille dire ce terme dans l'inconscient collectif, chacun en ayant sa propre définition et en appliquant les " principes " selon sa propre sensibilité. BMW, de longue date, a donc imposé un quasi monopole sur le marché du flat-twin, ce qui n'a pas empêché d'autres marques de concevoir leurs propres modèles, Philippe Gürel leur consacrant les cinq dernières pages de son ouvrage, comme Ural, la célèbre et robuste marque soviétique qui fit pendant à BMW durant la seconde guerre mondiale sur le front est, comme Vélocette et Gnome & Rhône, les marques françaises, comme Honda (eh oui, aussi), comme Douglas, la marque britannique, ou encore comme Harley-Davidson et Indian, les deux piliers américains. Ce qui nous amène au second recueil consacré aux motos produites chez l'oncle Sam. Probablement les motos qui font le plus rêver les motards du monde entier, à commencer par Harley-Davidson, toujours sur la brèche aujourd'hui, 113 ans après ses débuts.
Ici, la préface est signée Charlie Lecach, considéré, en France, comme l'historien des motos américaines. Il en profite d'ailleurs pour écrire de véritables petites notules historiques pour légender la plupart des illustrations du recueil, un petit plus par rapport à celui consacré aux flat-twins où Philippe Gürel se fend de courts commentaires plus personnels. Du coup, avec ce deuxième recueil, les deux hommes se penchent rapidement sur les origines de la motocyclette qui remonteraient aux années 1867-1869, époque où une poignée de bricoleurs de génie, l'américain Roper, les français Michaux-Perreaux et l'allemand Daimler, sans avoir connaissance des travaux des autres, dotent ce qui s'apparente encore à de simples vélos de petits moteurs, à vapeur même aux Etats-Unis et en France, c'est dire. Ce recueil " américain " est évidemment largement dominé par les modèles Harley-Davidson, ceux du commerce comme les customisations ou personnalisations diverses et variées, à commencer par les plus emblématiques d'entre elles, les choppers. Saviez-vous que les deux choppers les plus célèbres du cinéma, ceux de Billy (Dennis Hopper) et Wyatt " Captain America " (Peter Fonda) dans " Easy rider " en 1969 ont été conçus à partir d'anciennes Hydra Glide de la California Highway Patrol ? D'ailleurs, nombre de choppers sont d'anciennes Harley-Davidson de la police, réformées, une sorte de revanche pour ces motards épris de liberté sur l'autorité représentée les policiers. Il n'y a pourtant pas que Harley-Davidson aux Etats-Unis, d'autres firmes ont aussi marqué, ou marquent encore, les esprits au fil du temps, comme Indian (ma préférée si je puis me permettre ce commentaire tout personnel), Henderson - ces deux marques développant, à leurs débuts, d'improbables modèles dotés de 4 cylindres en ligne qui ne devaient guère être maniables - Crocker, Victory ou Boss Hoss (marque qui fait dans le superlatif avec des modèles dotés de moteurs Chevrolet V8, d'une cylindrée allant de 5,7 à plus de 8 litres, proprement incroyable, inutile de dire qu'il doit falloir des tripes en acier trempé pour piloter de tels monstres). Et puisqu'on est aux Etats-Unis et que les mythes y ont la vie dure, Philippe Gürel et Charlie Lecach ne manquent pas d'en évoquer quelques-uns, qu'ils soient fictifs comme Catwoman (sa tenue de cuir noir étant du meilleur effet sur une paire de modèles de même teinte), Terminator ou Captain America (celui des comics cette fois-ci), ou réels comme Evel Knievel, un cascadeur totalisant la bagatelle de 433 fractures au cours de sa carrière. J'ai même cru reconnaître la styliste et musicienne Agathe Beltran au détour d'une paire de dessins. Me trompé-je ?
Pour clore ce recueil, Philippe Gürel nous présente Zombie Rider, personnage de sa création dont, apparemment, il s'apprête à faire le héros d'une future bande dessinée, genre auquel il commence à se frotter comme en témoignent les 2 planches présentées dans l'ouvrage sur les flat-twins mettant en scène, cette fois, le dessinateur lui-même. Bien qu'il n'ait encore rien concrétisé de ce côté-là, nul doute qu'il y pense sérieusement, ne reste plus qu'à trouver les opportunités. En attendant les prochains volumes de cette petite collection attachante.