On le connaît tous ! Qui n’a pas entendu ce roi des instruments dans une église ? A la fois puissant et délicat, il nous paraît très familier. C’est l’orgue !
Et pourtant, savons-nous comment il fonctionne ? Connaissons-nous son histoire ? Comment donc, à partir d’un ou plusieurs clavier(s) et d’un pédalier, l’instrumentiste peut-il émettre des sons si différents et au final, « prendre la place de l’orchestre » ?
Le sujet étant si vaste et complexe qu’aujourd’hui nous allons simplement découvrir l’histoire de cet instrument. Le répertoire viendra après.
Au commencement était le souffle. Si l’orgue partage le mécanisme du clavier avec le piano, les deux instruments sont totalement différents. L’un est un instrument à cordes (frappées), l’autre un instrument à vent, comme la flûte à bec, par exemple – d’ailleurs le son des notes les plus graves de l’orgue ressemble beaucoup à celui d’une flûte basse. Dans les deux cas, le son est émis en soufflant de l’air dans un tuyau. Voilà ce qu’est l’orgue : une série de tuyaux dans lesquels passe de l’air, et qui, du même coup produisent un son dont la hauteur dépend de la taille de la colonne d’air et donc de la taille du tuyau. C’est simple, non ? Bon, évidemment, pour arriver aux orgues majestueuses de nos églises, il a fallu du temps, de l’ingéniosité et pas mal d’huile de coude.
On pense que les inventeurs de l’orgue sont les Grecs, avec leur hydraulos, signifiant en gros « flûte d’eau », la pression de l’eau faisant varier la pression de l’air, donc le son ; repris par les Romains, il disparaît quasiment de l’Occident pendant les invasions barbares. En revanche, à Byzance, il était toujours utilisé à la cour impériale comme instrument de loisirs et d’apparat.
Il réapparait progressivement en Europe occidentale au début du Moyen-Age, avec désormais une utilisation bien spécifique : la liturgie. L’instrument servait d’abord à soutenir le chant. Au fur et à mesure des siècles, il prendra davantage de place en jouant des pièces en instrument soliste. Encore aujourd’hui, la plupart des instruments sont placés dans un édifice religieux, hormis quelques exemplaires installés dans des salles de spectacle (à la salle Gaveau – mais qui ne fonctionne plus – à la Maison de la Radio, etc.).
Cathédrale Notre-Dame – Paris
Très rapidement, il devient un objet convoité et admiré des églises – et les premiers organistes « stars » apparaissent. On a gardé par exemple le nom de tous les titulaires des grandes orgues de Notre-Dame de Paris depuis Jean de Bruges, au début du XIVe siècle jusqu’à Olivier Latry de nos jours.
Jusqu’au XVIe siècle environ, il existait des orgues portatifs. L’instrumentiste actionnait un soufflet d’une main et les touches de l’autre. On peut imaginer aisément les limites d’un tel instrument.
Eglise Saint-Gervais – Paris – Orgue
Parallèlement, les orgues permanentes (ah oui, vous le savez sûrement, orgue est masculin au singulier et féminin au pluriel – comme amour et délice – les joies savoureuses de la langue française) prennent de l’ampleur et de la puissance. Au XIIIe siècle, les premiers claviers sont montés, remplaçant les tirettes malcommodes. Un siècle plus tard est attestée l’apparition du pédalier, notamment en Italie. Encore un siècle de plus et l’on voit se développer la notion de « jeu », c’est-à-dire, une rangée de tuyaux de même nature produisant un son identique (sauf leur hauteur évidemment), permettant ainsi de faire varier la sonorité et la puissance de l’instrument. A partir de ce moment-là, les facteurs d’orgue vont rivaliser de créativité pour créer les jeux les plus divers. L’accouplement va suivre, c’est-à-dire, le fait de pouvoir actionner plusieurs claviers en même temps, à partir d’un seul et donc d’actionner les registres (les jeux) qui lui sont associés. C’est ainsi que l’on peut dire qu’à la période baroque, les grands principes de l’orgue actuel sont établis.
Ce qui ne veut pas dire que l’évolution de l’instrument était achevée. A la fin du XIXe siècle, les célèbres facteurs Merklin et Cavaillé-Coll ont ainsi imaginé et conçu des techniques mécaniques améliorant la qualité du son et surtout sa « couleur » orchestrale. Les orgues devinrent alors des instruments extrêmement puissants, volumineux et complexes. L’arrivée de l’électricité puis de l’électronique vint remplacer les procédés mécaniques, ouvrant des possibilités de jeu quasi infinies, au détriment peut-être de la cohérence musicale. Encore aujourd’hui, il existe des facteurs d’orgue qui réparent les anciens instruments et en créent de nouveaux, perpétuant des savoir-faire centenaires, issus de générations d’ingénieux artisans qui ont produit les plus grands instruments de musique du monde.
Eglise Saint-Sulpice – Paris – Clavier
Voilà pour l’histoire. Quant à l’instrument lui-même, il faut dire qu’il s’impose. C’est un monument à lui seul. Il est composé d’une console où sont placés les claviers et pédaliers, ainsi que les commandes des jeux et d’un buffet comportant la forêt de tuyaux, la soufflerie (désormais électrique, mais avant, il fallait du personnel pour la mettre en branle) et le sommier qui fait l’interface entre la soufflerie et la tuyauterie. Le buffet lui-même est souvent un objet d’art, richement décoré ou au contraire très sobre, qui fait partie intégrante des qualités architecturales d’un édifice. Sa position dans l’église a varié : au fond de l’église sur la façade intérieure (le plus souvent), sur le côté en nid d’hirondelle (comme à Chartres par exemple), dans le chœur (c’est l’orgue de chœur, de taille plus modeste, servant principalement à l’accompagnement), derrière l’autel, etc… Tout dépend de la place disponible et des contraintes pratiques.
La prochaine fois que vous rentrerez dans une église, pensez à regarder l’orgue !
En attendant la suite de l’article sur le répertoire, écoutons tout de même deux pièces d’orgue, représentatives des deux grandes périodes de l’école française.
Louis-Claude Daquin (1694-1772) – Noël suisse, douzième et dernier Noël pour l’orgue (édité en 1757).
Léon Boëllmann (1862-1897) – Suite gothique pour orgue (1895).