Je souhaite également recevoir
les bons plans et offres partenaires
la newsletter des professionnelles
1/3
" On constate qu'il y a plus d'asthme dans les zones de culture à fort épandage ", observe Jean-François Deleume, médecin spécialiste des hôpitaux, membre du comité de pilotage du plan santé/environnement en Bretagne au titre des associations environnementales. Il fait également partie de l'association "Alerte des médecins sur les pesticides" qui rassemble plus de 1600 médecins.
Les zones agricoles concentrent les plus fortes teneurs en résidus de pesticides dans l'air, souvent en cocktail. En effet, plusieurs pesticides peuvent être mélangés dans le pulvérisateur et chaque pesticide est lui-même composé d'un ensemble de produits : matière active et adjuvants qui renforcent l'effet de la matière active.
" On ne connaît pas la composition des pesticides car elle est couverte par le secret industriel. Cela signifie qu'on ne connaît pas les risques auxquels nous sommes exposés. On sait que des solvants toxiques sont utilisés dans les pesticides, le benzène en est le plus caractéristique. On a appris dans le cas de Paul François, un agriculteur intoxiqué au cours de son travail, la présence du benzène dans le pesticide qu'il manipulait, grâce aux analyses d'un chimiste ", s'inquiète le médecin.
En revanche, on sait que la pollution liée à l'air est plus dangereuse.
" Les pesticides présents dans l'air pénètrent directement les poumons. Cette pollution qui touche en priorité les riverains, induit une toxicité systémique neurologique, sans passage hépatique. Pourtant la règlementation ne considère que la voie alimentaire ", explique-t-il.
Pas de limite aux polluants dans l'air
En effet, il n'existe pas de seuil limite des polluants dans l'air ni en France, ni en Europe, ni dans le monde. Ce qui rend difficile une lutte contre cette pollution. Par exemple, la surveillance des polluants présents (diversité et quantité) n'est pas obligatoire. En France cependant, la plupart des associations de surveillance de la qualité de l'air (Assqa) en mesurent les concentrations et établissent un état des lieux. Et il n'est pas rassurant !
" Toutes les études menées par les Assqa montrent, sans exception, la présence de pesticides dans l'atmosphère. 114 substances actives ont été détectées soit 67% des pesticides recherchés. Certains pesticides sont observés dans 100% des prélèvements. D'autres n'ont jamais ou très peu été observés ", note l'Association nationale pour la prévention et l'amélioration de la qualité de l'air (Respire) sur son site Internet. Elle précise encore : " Près de 100 000 mesures ont été réalisées, dont 12.000 dépassant les limites sanitaires d'exposition ",
Cette forte contamination de l'air s'explique par l'énorme déperdition des produits pulvérisés. Entre moins de 1% et 15% des volumes atteignent leur cible selon différents calculs. Le reste se disperse dans la nature, emporté par le vent et par l'eau.
38 pesticides détectés dans Paris en 2016
Et le vent emporte la pollution aérienne bien au-delà des zones rurales. On retrouve des pesticides dans les villes, y compris au coeur de Paris, mais à des doses plus faibles. Un rapport 2016 d'Airparif, l'observatoire de l'air en Ile-de-France, fait le point sur les pesticides respirés dans la capitale. Au cours d'une campagne de mesures en 2013 et 2014, trente-huit pesticides ont été détectés à Paris contre trente-six sur un site rural d'Ile-de-France. On trouve notamment de l'atrazine, un herbicide interdit en France depuis 2003.
Enfin les pesticides polluent autant l'air extérieur que l'air intérieur. " Les études montrent la rémanence (période pendant laquelle le produit continue d'exercer son action) dans l'air intérieur de certains pesticides interdits comme le Lindane et de poussières déposées au sol de composés non détectés dans l'air extérieur ", explique l'association Respire. Les molécules sont piégées dans les maisons où elles restent longtemps actives.
Si les pesticides polluent, les engrais chimiques également. " L'ammoniac (issu notamment des épandages d'engrais chimique NDLR), conduit à la formation de particules fines secondaires. La volatilisation de l'ammoniac est non seulement un problème environnemental, mais elle a également des conséquences sur la santé ", reconnait le rapport gouvernemental sur les externalités positives de l'agriculture biologique paru le 25 novembre 2016.
Pendant les périodes de beau temps, ces particules fines provoquent des pollutions de grande ampleur. Le problème est tel, particulièrement pour la santé publique, que les engrais sont jugés non rentables sur le plan économique par l'Europe ! " Dans le cadre de l'expertise européenne, European Nitrogen Assessment (ENA, 2011) et Sutton et al. (2011) soulignent les différents impacts liés aux pollutions azotées sous leurs différentes formes : on peut noter dans les bilans globaux ainsi présentés un poids conséquent des impacts santé. Les travaux de Sutton et al. (2011) indiquent que le coût global des pollutions liées aux engrais azotés (sur eau, air, sol) est équivalent à, voire excède, la valeur économique du supplément de production permis par les engrais azotés ", rappelle le rapport cité plus haut. Mais comme les coûts indirects des engrais sont supportés par la société tout entière, et non par les fabricants d'engrais ou les agriculteurs, le problème perdure.
De son côté, la Commission Européenne a récemment estimé le coût de la pollution de l'air liée à l'agriculture. Son Bureau Environnemental estime que cette pollution atmosphérique, en 2010, a généré plus de 400 000 décès prématurés, et elle chiffre les coûts externes totaux des incidences sur la santé dans une fourchette de 330 à 940 milliards d'euros. Suite à ce constat, le Bureau Environnemental a proposé un " Clean air policy package " adopté en 2013 permettant d'éviter 58 000 morts prématurées. Il décline des mesures préventives estimées à 3,4 milliards d'euros par an permettant de réaliser de 40 à 140 milliards € d'économies par an (plus grande productivité, coûts de santé diminués...) soit 12 à 40 fois plus que le coût des mesures. Ces mesures ne sont pas obligatoires, les Etats sont libres de les appliquer ou non. Ce qui réduit son efficacité.
En France, les usages des pesticides n'évoluent pas dans le bon sens, idem pour les engrais chimiques. Beaucoup de prairies ont été retournées depuis la crise laitière pour produire des céréales ou du colza énergie, gourmands en fertilisants et en traitements. Même en Ile-de-France, ces cultures gagnent du terrain.
Un autre rapport, celui de la Sénatrice Leïla Aichi intitulé " La pollution de l'Air, le coût de l'inaction " (2015), enfonce le clou. " La pollution de l'air n'est pas qu'une aberration sanitaire, c'est aussi une aberration économique " : les coûts globaux sont estimés à 101,3 milliards d'euros par an en France. Ces coûts intègrent : les dépenses de santé pour prendre en charge les pathologies imputables à la pollution (particules fines, oxydes d'azote, etc.), l'impact de l'absentéisme professionnel sur la productivité des entreprises, la perte de la biodiversité ou encore l'entretien des bâtiments et la baisse des rendements agricoles. Car l'agriculture est elle aussi pénalisée par la pollution de l'air. " Parmi ces coûts, le coût sanitaire de la pollution de l'air a été estimé entre 68 et 97 milliards d'euros ".
Les données de l'OMS confirment que la pollution de l'air est devenu le problème environnemental le plus important aujourd'hui. Elle estime qu'en 2012, environ 7 millions de personnes dans le monde sont mortes à cause de cette pollution. Il est temps que les politiques réagissent sans oublier d'impliquer le secteur agricole.
Anne-Françoise Roger