J’ai connu Modiano par la lecture de Romans paru en 2013 et dont j’ai rendu compte dans un précédent billet. Ce fut une grande rencontre, de celles qui marquent.
Aussi, lorsque dans le magasin de livres usagés je suis tombée sur L’herbe des nuits, je n’ai pas hésité un instant à l’acheter. J’y ai retrouvé l’auteur qui m’avait si fort émue par les thèmes qu’il développe / la fragilité de l’identité, des racines, de l’existence même. La vie comme un tremblement.
Elle montait sur scène après l’entracte. J’avais noté sur mon carnet noir l’une des phrases de son rôle, et l’heure exacte : vingt et une heures quarante-cinq minutes à laquelle tombait cette réplique. Si l’on m’avait demandé pourquoi, je ne crois pas que j’aurais pu répondre d’une manière précise. Mais aujourd’hui je comprends mieux : j’avais besoin de points de repère, de noms de stations de métro, de numéros d’immeubles, de pedigrees de chiens, comme si je craignais que d’un instant à l’autre les gens et les choses ne se dérobent ou disparaissent et qu’il fallait au moins garder une preuve de leur existence.
Il cherche à comprendre ce qu’a représenté cette période de sa vie qu’il a traversée sans oser poser les questions légitimes que suscitait le comportement énigmatique de Dannie et des hommes qui gravitaient autour d’elle.
Je crois qu’en ce temps-là j’avais déjà compris que personne ne répond jamais aux questions.
Il la cherche. Ou peut-être cherche-t-il plutôt à ressouder les âges de sa vie, pour leur donner une consistance, pour que cesse le tremblement qui lui tient lieu d’existence?
En lisant ce court roman, je me suis demandé comment j’aurais réagi à cet univers brumeux si je n’avais pas d’abord rencontré Modiano dans Romans. Si je n’avais pas déjà eu l’occasion d’apprivoiser son monde vacillant, précaire. Si je n’avais pas été atteinte aussi fortement par son authenticité, par la profondeur de l’expérience qu’il livre de la fragilité humaine.
Patrick Modiano, L’herbe des nuits, Gallimard, Collection Folio, 2012, 169 pages