Avec 30 ans de carrière, les Pixies ont acquis le statut de classiques. Leurs quatre premiers albums, de SURFER ROSA (1987) à TROMPE LE MONDE (1991) les ont transformé en un des groupes les plus importants de l'underground. Cependant, leur popularité à l'époque était restreinte. Ils ne passaient pas à la radio et ils faisaient des premières parties de groupes plus connus comme U2 ou The Cure. Séparés vers 1993, ils se reforment vers 2005.
À l'époque de leur réformation, les Pixies étaient déjà devenus une légende, un groupe très influent et admiré par les nouvelles générations: une référence. La preuve: ce soir, ils jouent dans une des salles les plus importantes de Suisse Romande, le Stravinski, plein à craquer. Le public est divers. La présence de suisses allemands et de français, venus de loin, confirme la notoriété du band. Les âges se confondent, des ados et leurs parents cinquantenaires, des adultes en général, le spectre est très large, d'autant plus pour une musique aussi débordante.
Une question légitime se pose, au vu de ce statut de culte: quel genre de concert vont-ils jouer à l'auditorium Stravinski? Dès les premiers accords de ' Where is my mind', les doutes s'effacent. Le quatuor américain fait preuve d'une énergie impressionnante, c'est l'aspect le plus rock et sauvage qui ressort ce vendredi soir à Montreux. Car si le groupe commence avec leur morceau le plus connu, tous ceux qui suivent font partie de leur catalogue le moins repérable. Pourtant, il s'agit là d'un vrai cadeau pour les fans que d'explorer cette "vraie nature" du band, leur côté le moins populaire, à part le dernier, ‘Debaser’.
Les compositions les plus intenses des Pixies sont en effet à l'honneur au Stravinski, avec des monuments comme 'Gouge away', 'Nimrod Son', 'River Euphrates', 'Rock Music' et 'Cactus'. Les tubes, tel que 'Monkey gone to heaven', 'Gigantic' et 'Velouria' restent rangés dans l'armoire des souvenirs. Cela permet de déceler la véritable identité souterraine d'une musique qui se veut à la base rêveuse et surréaliste. Les références à Buñuel dans 'Debaser' sont explicites, ainsi que celles à David Lynch dans la reprise de 'Lady of the radiator', en provenance d' Eraserhead (1977) du réalisateur déjanté. Le mélange est explosif: punk rock, surf sixties et des vestiges de rockabilly.
Tout à coup, le style du groupe devient évident: la batterie et la basse procurent un support constant et musculaire, auquel viennent s'ajouter des vagues de guitares acoustiques et électriques. C'est la section rythmique qui assure la continuité des morceaux. Pour le reste, il y a le jeu constant entre les voix des deux chanteurs, Frank Black et Paz Lenchantin (Zwan). Celle-ci est la nouvelle bassiste, engagée après le départ définitif de l'historique Kim Deal pour les Breeders.
La présence de Lenchantin apporte une énergie nouvelle aux Pixies. Le guitariste Joey Santiago et le batteur David Lovering ont affirmé dans une interview récente qu'ils se sentent comme un groupe créatif à nouveau, avec une force qui vient de la cohésion de l'ensemble. Chacun y retrouve sa place et communique avec le reste. Le résultat de cette dynamique est l'excellent nouvel album des américains, HEAD CARRIER (2016). Il est étonnant pour un collectif qui a traversé trois décennies de produire un disque si stimulant et frais.
Plus surprenant encore est le fait qu'en plus de sortir cet album, les Pixies le 'tournent'. Il s'agit effectivement de la tournée 'HEAD CARRIER', le disque est le seul qui est disponible sur la table du merchandising, en CD et en vinyle. De plus, le quatuor l'interprète quasiment de manière intégrale à Montreux. Et il "sonne". Entre l'écorchante et hardcore 'Baal's Back', la déchaînée 'Um Chagga Lagga' et l'entraînante et touchante 'All I think about now', les nouvelles chansons n'ont rien à envier au répertoire ancien du groupe.
Pour un groupe avec un poids pareil, tourner un nouvel album semble un paradoxe, mais celui-ci brille en live dans la continuité d'une œuvre qui oscille entre les morceaux crus et agressifs, garnis par les cris de Frank Black ( "une masse corporelle qui t'arrive dessus", selon David Bowie, un grand fan) et les morceaux plus surfs, oniriques et inquiétants, ornés par les chœurs de Paz Lenchantin. Le concert à Montreux s'avère donc être une surprise et un accomplissement.
Pour le reste, la salle est enflammée. Le public saute et danse tout le long, captivé par l'aura magnétique et étrange des Pixies. Tel que Sonic Youth, le groupe dirigé par Frank Black sait créer un univers particulier qui absorbe l'audience avec un parfum d'éternité. Il y a ce côté indomptable et mystérieux qui distille de leurs chansons, des ambiances de forêt, de faunes, de nymphes, de caribous et de Minotaure, lequel est tout autant perturbant.
Quant aux paroles, il s'agit d'histoires de violence, de crime, d'impuissance, de mutilation, de prostitution et de bas-fonds. Voilà leur charme: tout ce que les parents de quelqu'un aimeraient lui interdire et lui déconseiller. Pour pimenter l'affaire, Frank Black utilise même des mots et des expressions en espagnol pour choquer le conservateur américain (ou mondial) et se référer à cet aspect interdit d'une société bien-pensante: le criminel, la pute, le dealer et l'immigrant.
En somme, Pixies est à apprécier absolument sur scène. Si leurs albums ont un son impeccable, leurs concerts sont captivants et doués d’une énergie brute. Le quatuor enchaine les morceaux sans aucune pause et il en joue beaucoup, autour d’une trentaine. Il s’agit là d’une expérience sublime à faire une fois dans sa vie. D’autant plus qu’ils étaient pendant longtemps le groupe culte que personne n’avait eu l’occasion de voir car ils étaient dissous. La scénographie minimaliste, inondée par des lumières rouges ou bleues, offre un cadre sobre à une musique puissante.