Pourquoi tout le monde s’obstine-t-il à voir là un vulgaire porno, alors qu’il s’agit en réalité d’un somptueux pamphlet contre la religion, contre les religions, contre le fait religieux, la croyance, la superstition, un superbe sacrilège géant, une jouissive satire anti-bigote, une volubile diatribe de libre penseurs que n’auraient pas dédaigné les plus sophistiqués de nos athées historiques?
Tout y est, rien n’est négligé, on assiste à un démontage méthodique, systématique et intégral du fait religieux : des cantiques grotesques, des rituels vides et abscons, une sorte de concile de hauts personnages qui connaissent la supercherie mais l’exploitent avec morgue et froideur, l’institution du système de persécution des sceptiques…
Les aliments sur les rayons d’un supermarché croient que leur achat « par les dieux » et leur sortie de l’univers du magasin est une entrée dans le « great beyond », le « grand au-delà », un paradis où ils seront choyés par les dieux dans un éternelle félicité, le tout bourré de gags comme celui de la denrée périssable qui verra abolir sa date de péremption ou celui de la galette lavash musulmane qui espère trouver là-haut 70 fioles d’huile d’olive vierge…
On décortique les causes du déisme, l’invention de la religion, la nécessité de son instauration par ses créateurs pour plonger les foules dans une béatitude artificielle et pour mieux les manœuvrer, on démonte le mécanisme du procès inquisitorial de celui qui doute: « Tu veux démystifier les foules, mais elles ne se rendront pas à tes preuves ; leur foi est plus forte que ta raison. »
Il n’y a plus qu’à saupoudrer cet intense plaidoyer de très nombreux gags pour faire un film regardable extrêmement drôle : Par exemple ce couple infernal du Juif et du Musulman, le bagel et la galette Lavash, qui se tirent la bourre pendant tout le film tout en se portant assistance dans les moments cruciaux, et se réconcilient à la fin. (Dans la partouze finale. Oups, Vous n’avez rien entendu.)
Trouvez-vous vraiment quelque chose d’érotique à voir une saucisse de Francfort lubrifiée de moutarde au miel s’insinuer dans la fente langoureuse d’une opulente miche lascive?
Il faut être aussi mal baisé qu’un militant contre le mariage pour tous pour y voir là quelque chose de sexuel. Vulgaire, oui, ça l’est certainement, mais aussi choquant que les films de violence qui font le quotidien du cinéma et de la télévision ?
Ajoutons à cela quelques subtils clins d’œil aux grands films classiques, -on peut être lubrique et cultivé-, quelques allusions aux réalités du moment comme les savantes interventions d’un pastiche de Stephen Hawkins en chewing-gum boudiné, et on a défini le niveau du film : derrière la parodie milite un impitoyable pamphlet.
Pour finir, savoir que « Sausage Party » est en argot américain une party où il y a plus de garçons que de filles..
Un dessin animé est-il toujours fait pour les enfants. ? Non. Il y a de nombreux dessins animés à l’usage exclusif des adultes, tel « Tarzoon la honte de la jungle »… sans parler d’une famille entière de la pornographie avec une branche américaine « hot cartoon » et une branche japonaise dite « hentai ».
Certes, le film se termine par une scène de partouze géante entre charcuteries, légumes et produits de boulangerie. Mais ce n’est que le nœud du ruban sur le paquet-cadeau de cette plaidoirie pour la raison et l’esprit.
En France, c’est la manif pour tous qui prend la tête des croisés contre le film, et brandit les croix et bannières de son ordre moral contre ces blagues de potache sans voir, ou sans vouloir voir le caractère sacrilège du scénario. Dans leurs diatribes, ils ne parlent que de porno, pas un instant d’atteinte à la religion… Sont-ils à ce point obsédés qu’ils n’y ont vu que « ça » ?
Il est vrai que notre manif pour tous sont « des enfants de chœur » à côté des bigots américains, pays où, suite à une interprétation erronée du 1° amendement de la constitution sur la « liberté de parole », aucune loi n’empêche d’insulter les gens au nom de la bigoterie la plus grotesque et de l’homophobie la plus dégradante, et où d’importants personnages politiques bâtissent des carrières uniquement fondées sur la discrimination des homosexuels. (Mike Pence, le vice-président de Donald Trump, créationniste et homophobe, par exemple…) En France, les carrières politiques fondées sur le puritanisme, ça donne Christine Boutin et Jean-Frédécric Poisson, une petite nuance… Et quelques condamnations en justice…
La manif pour tous est-elle à ce point primaire qu’elle n’a vu là que les allusions pornographiques au premier degré et est passée à côté du message mécréant du film ?
Bien qu’on soit tenté de parier sur sa bêtise quant on l’entend salir la sexualité des gens heureux, je crois qu’il faut en réalité voir dans ses protestations ciblées porno la redoutable perversion quasi jésuitique de ses manœuvres.
Car si « Sausage party » contient des passages parodiques de film pornographique, et surtout des dialogues en VO très grossiers, ce n’est là qu’une cerise sur le gâteau très consistant de l’ouvrage, qui est une dénonciation fondamentale de la religion. Sur ce terrain, l’œuvre ne donne plus dans la parodie, elle tire au canon..
Ne voir dans « Sausage party » que la vie sexuelle débridée d’aliments dans un supermarché, c’est se limiter à l’arbre qui cache la forêt.
De même que la manif pour tous pratique une homophobie active par des voies détournées, abandonnant la contestation frontale du fait homosexuel pour discriminer les homosexuels à travers leur famille, leur adoption – et donc leur héritage-, elle n’attaque ce film blasphématoire que par le biais d’une pornographie qui n’est pourtant ici qu’une infantile parodie.
Elle se rend bien compte qu’attaquer un film pour sa seule irréligiosité, c’est, à notre époque d’attentats intégristes, c'est à la fois risquer d'être assimilés à des terroristes et lui faire une publicité supplémentaire. Le sujet est brûlant, et ses stratèges l’ont compris.
Alors, elle biaise, attaque par le flanc, parle de pornographie là où il n’y a qu’une blague de potache, et comme d’habitude, entraîne son public sur les voies erratiques et détournées de la déraison.
Car le but de la manif pour tous est de faire condamner « Sausage Party » par des gens qui ne l’auront pas vu.
Kolossale finesse...
Atteindra-t-elle son but ? Non. Plus on va vers la dématérialisation des médias, plus la censure se transforme en publicité additionnelle et contribue au succès et à la célébrité des œuvres qu’elle prétend anéantir.
A l’époque où les films ne passaient que dans les cinémas ou à la télévision, il suffisait de les interdire pour les empêcher d’exister. Même l’application d’une limite d’âge à leur projection leur apportait un petit plus de célébrité qui élargissait leur audience aux curieux et allongeait d’autant leurs files d’attente et leur durée d’exploitation.
Puis il y a eu l’époque des cassettes et des DVD. Là, les créateurs et leurs producteurs ont commencé à se frotter les mains : un film censuré en salle, c’était l’assurance d’un enregistrement qui se vendrait bien. Maintenant, il y a internet. Chacun fabrique sa copie. Il n’existe plus aucun moyen matériel d’interdire complètement un film, et plus Anastasie s’acharne sur lui, plus les gens le cherchent et le trouvent pour le regarder sur leur ordinateur.
Les pauvres censeurs en sont réduits à attaquer les salles de spectacle, deux cinémas ont brûlé pour cause de religion à Paris (***voir note) dans les trente dernières années et quelques représentations théâtrales ont été interrompues. Là encore, la méthode est contre-productive. Ce retour à une sanglante inquisition est perçue par l’opinion publique comme une agression bien plus grave que le simple mépris d’un spectacle qu’il suffit de ne pas aller voir si on n’en a pas envie.
Ceci dit, croire qu’il va suffire de s’attaquer à la pornographie pour l’empêcher d’exister, et d’installer d’hypothétiques protections sur les ordinateurs pour empêcher les têtes blondes d’y accéder, c’est illusoire. Elle arrive jusque sur leur téléphones !
Les parents sont souvent les premiers à demander à leurs enfants comment fonctionne l’ordinateur, mais leur fierté ne leur permet toujours pas d’imaginer que sil les enfants savent leur expliquer, c’est qu’ils ont du même coup compris comment on trouve de la vraie pornographie sur un ordinateur, même « protégé ».
On n’arrêtera jamais ni la prostitution ni la pornographie, toutes les lois en ce sens ridiculisent leurs auteurs, et comme ce sont toujours des vieux grincheux mal baisés qui les instrumentent, elles ajoutent aux objets de leur courroux hargneux un délicieux parfum d’interdit.
« Puisque c’est défendu, c’est sûrement très bon »… « L’ordre moral c’est comme les régimes, ça interdit tout ce qui est bon » « La prohibition renforce toujours ce qu’elle interdit ».
Ce n’est pas la première fois qu’Hollywood nous gratifie de films à messages politiques déguisés.
Il y a dix ans, un dessin animé d’aspect inoffensif « Happy Feet », mettait des pingouins en scène.
Or ce remake de « Billy Elliott » chez les pingouins allait déjà au fond des choses, et ne se contentait pas de décrire les affres d’un adolescent contrarié par la culture et les traditions de sa famille et de son groupe.
Non seulement il contenait des scènes de coming-out réalistes, avec le papa qui se fâche et la maman qui veut bien essayer de comprendre, mais il explorait également les causes des interdictions faites au jeune pingouin de danser au lieu de chanter, comme il est « normal » de le faire chez ses semblables.
Sausage party n’est donc pas une première dans le genre « dessin animé à deux niveaux d’entrée ». Sauf que cette fois, les allusions pornographiques dissuadent les parents un peu naïfs d’y emmener leurs rejetons. « L’autorité » a même ouvert le parapluie en l’interdisant aux moins de 12 ans en France. (17 aux USA!!!)
On ne peut néanmoins qu’applaudir. Que se réjouir qu’il existe aux USA des producteurs en révolte contre l’institution et l’autocensure, qui essaient de faire passer des messages « subversifs », voire « sacrilèges » pour faire face à la bigoterie ambiante qui gagne le pays.
(***)
Rien qu’à Paris :
*** 18 mars 1985 : bombe incendiaire au cinéma Rivoli-Beaubourg qui passe un festival de cinéma juif. 18 blessés, et le cinéma ne s’en remettra pas. *** 22 octobre 1988 : incendie criminel du cinéma Saint Michel, qui projetait « la dernière tentation du Christ ». *** Octobre 2011 : plusieurs représentations interrompues au Théâtre de la Ville par des intégristes qui ne supportent pas la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieutout en proclamant hautement ne pas l’avoir vue.