Enfin une chronique! Un mois que je ne vous avais pas écrit et cela me manquait! Aujourd’hui je vous parle du premier roman de Gaël Faye qui a récemment reçu le Prix Goncourt des Lycéens 2016 et le prix est largement mérité. Une lecture coup de coeur.
J’ai adoré ce livre à la fois dur et touchant, une histoire d’adolescence brisée dans un pays où le génocide fait rage.
Quatrième de couverture:
« Au temps d’avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et le reste, c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer. Si l’on me demandait « Comment ça va? » je répondais toujours « ça va! ». Du tac au tac. Le bonheur, ça t’évite de réfléchir. C’est par la suite que je me suis mis à considérer la question. A esquiver, à opiner vaguement du chef. D’ailleurs, tout le pays s’y étais mis. Les gens ne répondaient plus que par « ça va un peu ». Parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous était arrivé. »
» Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l’harmonie s’est disloquée en même temps que son « petit pays », le Burundi, ce bout d’Afrique centrale brutalement malmenée par l’Histoire.
Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de coeur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d’orage, les jacandaras en fleur… L’enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais. »
Mon avis:
Gaël Faye nous parle de son Afrique natale, du Burundi et du Rwanda mais « Petit pays » n’est pas une auto biographie. Sa mère est rwandaise, son père français, il a connu la guerre civile et le génocide rwandais mais la ressemblance avec son personnage principal, Gabriel, 10 ans, s’arrête là.
Gabriel grandi au Burundi avec son père et sa mère. Ces deux derniers décident de se séparer. Cet événement note le début d’un grand changement dans la vie de Gabriel, non seulement à cause de la séparation de ses parents mais aussi parce qu’à cette époque là, commence à poindre les prémices d’une haine raciale des Hutus envers les Tutsis. L’adolescence de Gabriel, de sa soeur et ses copains, devient alors empreinte de peur et de sang.
» Bientôt ce serait la fin de mon anniversaire, je profitais de cette minute avant la pluie, de ce moment de bonheur suspendu où la musique accouplait nos coeurs, comblait le vide entre nous, célébrait l’existence, l’instant, l’éternité de mes onze ans, ici, sous le ficus cathédrale de mon enfance, et je savais alors au plus profond de moi que la vie finirait par s’arranger. »
Lui qui jouait avec ses amis dans sa ruelle où leurs principales occupations étaient de s’inventer des histoires dans une voiture abandonnée, il va peu à peu comprendre l’ampleur de cette guerre lorsqu’elle arrive jusque chez lui, au Burundi et que sa mère revient changée à jamais. Des sirènes, des couvres feu, des morts, son quotidien va devenir une angoisse permanente.
« Mais pour l’instant, le pays était un zombie qui marchait langue nue sur des cailloux pointus. On apprivoisait l’idée de mourir à tout instant. La mort n’était plus une chose lointaine et abstraite. Elle avait le visage banal du quotidien. Vivre avec cette lucidité terminait de saccager la part d’enfance en soi. »
Avec une voix juste et un style empreint de poésie, Gaël faye nous offre ici un roman d’une grande ampleur. Un chef d’oeuvre qui mérite les différents prix dont il a été couronné.
Gaël nous dévoile le visage d’un adolescent sensible et intelligent à travers Gabriel. Un enfant pas encore adulte qui découvre dans les livres une échappatoire et une inspiration.
« Bien sûr, un livre peut te changer! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis. (…) Nous discutions pendant des heures des livres qu’elle mettait entre mes mains. Je découvrais que je pouvais parler d’une infinité de choses tapies au fond de moi et que j’ignorais. Dans ce havre de verdure, j’apprenais à identifier mes goûts, mes envies, ma manière de voir et de ressentir l’univers. »
Un enfant devenu adulte trop vite, qui a vu des choses qu’aucun enfant ne devrait jamais voir. Des rêves d’enfants réduits à néant, une enfance brisée.
Avec la magie des mots dont il a le secret et que ces chansons reflètent à merveille, Gaël Faye décrit l’horreur de la guerre vu par des yeux innocents.
« Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie. »
Un livre magnifique, un vrai coup de coeur.
« Petit pays », Gaël Faye, Edition Grasset, Août 2016, 224 pages.
J’ai eu la grande chance de rencontrer l’auteur lors de la Foire aux Livres de Brive.