de Sylvain Coher
Roman - 260 pages
Editions Actes Sud - janvier 2015
Prix Ouest France - Etonnants voyageurs - 2015
Le trio vient de traverser la France depuis Nice jusqu'à Saint Malo. Sur un coup de tête, Lucky décide de prendre le large pour l'Angleterre, avec le Petit, dont il est inséparable, et La Fille qu'il vient de rencontrer. Rallier les côtes normandes à bord d'un petit voilier, Slangevar, volé bien sûr. Le temps de s'organiser, d'essuyer les hésitations et contestations du Petit, et voilà les trois jeunes lancés à l'aveugle dans une aventure inconsidérée, sans carte marine. Un huis clos flottant, une embarcation défectueuse, un équipage d'amateurs qui fuient on ne sais quoi ou recherche on ne sait quel salut.
Etonnante ambiance, avant de plonger dans davantage d'inquiétude glacée. Le vocabulaire marin est très fourni, ardu pour les non connaisseurs. Mais on se laisse aisément porter par la houle littéraire, par les phrases délicates, ciselées, qui apportent à la lecture une ambiance inquiétante, autour de ce trio de têtes brûlées qui entreprennent l'aventure de l'inconscience. Du courage ou de l'inconscience ? On aimerait les penser courageux, mais très vite, il faut se résigner à l'inconscience, jamais ils n'auraient dû partir dans ses conditions.
A bord, les deux amis sont nerveux, jaloux, méfiants, défiants. Il y a cette femme, objet de désir, objet de jalousie. Mais il y a surtout la mer et ses angoisses, et les conditions réelles physiques, l'eau partout, les vêtements jamais secs, le corps qui jamais plus ne se réchauffe. Extrait : "Le vent revint avec le jour, comme une mariée du lendemain. Ils devaient toujours crier pour se faire comprendre. Les mots les plus simples prenaient des accents colériques et quelques malentendus multiplièrent les silences rancuniers. L'horizon défait se perdait dans la découpe des vagues, comme la ligne de crête d'un massif montagneux. Slangevar grimpait sur des lames plus hautes que lui et retombait chaque fois plus bas qu'ils ne pouvaient le prévoir. Repartait à l'assaut pour parvenir tant bien que mal dans le tremblant. L'étrave recevait toujours la même claque. Puissante, infatigable." Le roman s'étale sur quelques jours à peine. Rares sont les repères. Les repères en mer, et les repères dans leurs vies antérieures. On se perd, il faut s'accrocher, garder un cap, sentir les claques de la mer et les attaques du vent. Un huis-clos poétique et glaçant, une très belle écriture.
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