Ce n’est pas tous les jours qu’on peut annoncer, crânement, s’être trompé, et s’en trouver plus heureux pour autant. Pourtant, c’est ce qui m’arrive lorsque j’apprends que le président Hollande renonce, visiblement la mort dans l’âme, à se présenter à la prochaine élection présidentielle, alors que j’étais persuadé qu’il persisterait jusqu’au bout.
Saluons tout d’abord l’exploit : il aura fallu 62 ans à François Hollande pour parvenir à prendre et formuler de façon claire une décision cohérente. Et tel un papillon sortant de sa chrysalide, on aperçoit maintenant toute la puissance du personnage se déployer : pour la première décision prise dans sa vie, c’est la bonne. Pour la seule de son quinquennat, c’est donc une réussite. Pas de doute : Hollande est un vrai gagnant.
C’est aussi la première fois sous la Cinquième République qu’un président en exercice renonce à se présenter à sa propre succession. C’est tout à fait symptomatique de l’état calamiteux dans lequel se trouve le pays et, bien plus prosaïquement pour notre Machiavel de Prisunic (et bonjour M. Juppé), c’est aussi parfaitement illustratif de la lente implosion qui parcourt actuellement le Parti Socialiste. Après être parvenu à vaporiser Sarkozy, l’agent chimique Hollande a réussi à dissoudre une bonne masse du Parti Socialiste, et tout semble indiquer qu’il va parvenir à s’effacer lui-même dans l’Histoire de France où la décence imposera de ne lui consacrer qu’un petit paragraphe rapide sans doute illustré par un facepalm.
Soyons clair : même si le véritable Titanic lacté qui nous sert actuellement de Président a tenté, dans sa pathétique allocution, de nous faire passer des vessies pour des lanternes et son bilan désastreux pour une marque de réussite, personne n’est dupe. Tout le monde comprend que son empilement de résultats médiocres, son absence totale de direction de gouvernement et son improvisation permanente sur fond de magouilles politico-politiciennes ont fini d’achever ce que la République française pouvait encore offrir de lustre et de panache.
Et s’il a claironné avoir atteint les buts qu’il s’était fixés, qui peut le croire assez méchant pour vouloir aussi sciemment le malheur des Français et faire preuve du cynisme de l’assumer ensuite ? Tout le monde comprend ici que notre homme est persuadé d’avoir réalisé une performance, ce qui donne une assez bonne idée de son décalage avec la réalité ; cela permet au passage de mesurer l’ampleur de la catastrophe supplémentaire qui nous aurait été infligée s’il avait persisté à se présenter et si, horresco referens, il était parvenu à se faire réélire (j’en frémis à nouveau).
Pourtant, il faut bien se remémorer par quoi les Français sont passés sur les cinq dernières années pour comprendre l’ampleur du foutage de gueule de ce quinquennat (et, par extension, du bilan honteusement mensonger que le président nous a servi).
Lui, président, c’est un taux de chômage explosif et des indicateurs économiques à peu près tous en berne.
Lui, président, ce fut une course systématiquement en retard contre un terrorisme mal compris, mal analysé, mal combattu et utilisé exclusivement sur le plan de sa politique personnelle. Ce fut aussi une perte de libertés pour tous les citoyens.
Lui, président, ce fut le patinage artistique sur la Syrie (on y va, on va tout péter, Barack avec moi ! et … ah zut, plus personne).
Lui, président, ce fut l’invraisemblable affaire Léonarda qui permit à beaucoup de comprendre à quel point il était idiot de placer un dessert lacté à un poste à responsabilité.
Lui, président, ce furent les tergiversations débilissimes sur la déchéance de nationalité dans lesquelles il s’est retrouvé empêtré, tout seul comme un gland.
Lui, président, ce fut l’abrutissante débilité de la réforme des régions, abominable bricolage qui ne sert finalement qu’à accroître encore les coûts de l’Etat.
Lui, président, ce furent d’innombrables imbroglios politiciens, des manœuvres, des cris de femmes outrées dans le palais de l’Élysée, des affaires pathétiques (de coiffure, de chaussure, j’en passe et des pires). Lui, président, ce sera une tache d’encre dans l’Histoire de France.
Maintenant, si on admet que le bougre ne sera pas présent au premier tour des présidentielles, on peut légitimement se demander qui y sera. Ayons une pensée pas trop émue, amusée même, pour le pauvre Montebourg qui tentait aujourd’hui, depuis une péniche, de lancer sa campagne pour la primaire socialiste et qui vient de se faire torpiller son petit navire par l’annonce inopinée du président. Avouons que Montebourg en dommage collatéral de Hollande, c’est plutôt amusant et après tout, il pourra se rattraper, peut-être, dans les prochains jours, une fois que la tension et le brouhaha seront retombés.
Ceci posé, compte tenu du désert autour de lui qui vient de se créer par la déflagration présidentielle, il va se retrouver en position de choix pour ces prochaines primaires : à l’exception notable de Manuel Valls, les autres candidats sont relativement peu crédibles ou solides. On peut imaginer que cette primaire se jouera donc entre lui et l’actuel premier ministre, même si, dans la Cinquième République, aucun premier ministre n’a fait d’étincelles au sortir de son mandat. Du côté de Mélenchon, l’affaire se corse d’un coup puisqu’au lieu d’avoir à batailler contre un président au plus bas dans les sondages, le tribun sans peuple se retrouve à devoir évaluer qui jouera contre lui. Parions cependant qu’il saura en tirer profit.Malgré tout, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il reste encore six mois d’un quinquennat calamiteux, et il peut se passer beaucoup de choses dans ce laps de temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai insisté sur le « si » au précédent paragraphe : l’année 2016, riche en rebondissements et en imprévus, pourrait bien nous en offrir d’autres et pas forcément du fait du petit bureaucrate de Corrèze échoué à l’Élysée.
Rien n’interdit d’imaginer qu’à la faveur d’un événement international ou national d’importance, qui stupéfierait suffisamment le pays, le brave petit Pépère du peuple se réveille comme un seul homme et décide d’y aller quand même parce que la situation le lui impose. De la même façon, se retirer de la course lui permet d’observer sans plus prendre de coups, de capitaliser sur son retrait de la politique politicienne, et d’intervenir, au dernier moment, pour sauver les meubles si, d’aventure, le Parti Socialiste devait exploser. C’est, à présent, improbable, je le conçois aisément, mais l’année 2016 a prouvé, depuis le Brexit jusqu’à Trump en passant par les derniers rebondissements dans la politique française, qu’improbable ne signifiait pas impossible. Et si le pire n’est pas certain, il n’est certainement pas à écarter complètement non plus.
Et puis, indépendamment de ces sombres possibilités, force est de constater que les candidats de remplacement à l’actuel président ne sont pas spécialement attirants, à tel point que son remplaçant (si, finalement, il est remplacé) pourrait même être pire que lui. J’avoue que cela relèverait d’un exploit inouï…
Pas de doute : les cartes sont rebattues. Faites vos jeux, rien ne va plus.