« Quelle revanche de la lutte des classes contre celle des genres et des communautés. Du social contre le sociétal »
..
Dominique PAGANI, texto envoyé le 9 novembre 2016
Au hasard, parmi tant d’autres, piochons pour l’exemple ce tweet d’une comédienne française connue et appréciée du grand public, posté le 9 novembre à 7 heures, quand venait d’être confirmée l’élection de Donald Trump : « C’est en sanglots que je regarde BFM ».
Ladite comédienne s’est très tôt définie comme une « chic fille ». Promesse tenue : elle est peu à peu devenue une combattante patentée de la bien-pensance. Une prescriptrice médiatique du politiquement correct. En remontant le fil de ses tweets, on découvre sans surprise la matière de ses colères et de ses engagements : les violences faites aux femmes, le droit de mourir dans la dignité, la pénalisation des clients de prostituées, la lutte contre l’homophobie, la défense des minorités visibles, etc. Le tout assorti d’appels à manifester, à pétitionner, de bulletins de victoire, voire d’interpellations cavalières au locataire de l’Elysée : « François je t’en supplie gracie Jacqueline (Sauvage) que je puisse dormir de nouveau ». Rien (ou si peu) à redire, a priori.
Le 26 octobre, un moment de douceur et d’espoir. On est prié de s’attendrir sur la photo très retweetée (Christine Ockrent, Tatania de Rosnay, Caroline Roux, etc., que des chics filles décidemment) d’une souriante enfant : la future criminelle de guerre Hillary Clinton, à moins de deux semaines de sa conquête annoncée de la Maison Blanche. Légende du cliché en noir et blanc : « Jeune et innocente ».
Mais patatras, cry baby, c’est le vieux dégoûtant, ce misogyne raciste et homophobe, qui a été désigné cinquante-cinquième président des Etats-Unis d’Amérique. Par un populo abruti bien sûr, des petits blancs incultes, dépolitisés, revanchards. Le panier des déplorables, comme disait la challenger du monstre.
Paradoxaux dans les termes, ce qu’il faut bien appeler l’agoraphobie du people, son mépris de caste, constituent sa marque ontologique, l’expression dévoyée de sa fonction historique. Le people est au service de son mécène, la bourgeoisie émancipée, dont il diffuse avec zèle les thématiques libérales-libertaires. Ceci dans le but d’opérer un effet de brouillage, d’occulter la lutte des classes derrière les problématiques sociétales et leurs totems : la femme, le jeune, le trans, les mœurs, la diversité, etc. Et d’ainsi imposer un univers de communautés et de genres, dont l’antiracisme (et ses déclinaisons normatives) fournit l’arme de régulation massive. Pasolini avait bien pressenti la montée de ce phénomène, qu’il taxait de néo-fasciste. Concept repris ensuite par Michel Clouscard à travers ses analyses des nouvelles stratégies du capitalisme, consistant à introduire la guerre civile chez les pauvres tout en créant un grand marché monoculturel du désir.
Pour les people, la sanction de cette collaboration est immanquablement la même : un désaveu cinglant par les couches populaires des consignes de vote éclairées et progressistes qu’ils se croient habilités à donner de leur hauteur (avant Trump, le Brexit, le référendum de 2005 sur le projet de constitution européenne…tandis que la récente mobilisation destinée à sauver le soldat Hollande n’augure rien de positif pour ce dernier).
Rira bien notre comédienne – un vraie boute-en-train au demeurant – en se découvrant néo-fasciste, elle qui n’a de cesse de pourfendre les vieux beaufs et les jeunes réacs. D’ailleurs se formalisera-t-elle peut-être davantage d’être qualifiée de people. Elle contribue pourtant, par-delà la légitimité factuelle – mais périphérique - de ses postures, à cette incessante manipulation politique du réel par le sociétal. Quant à sa position statutaire, elle est attestée par ses emballements idéologiques et patrimoniaux, le culte inconditionnel qu’elle voue à Daniel Cohn Bendit, ce vétéran fourbu de l’Empire, ou sa résidence secondaire dans un village corse qui lui a fait « découvrir le paradis ». Deux indicateurs implacables. Et ne parlons pas de l’empressement des magazines versés dans le quotidien des célébrités à chroniquer par le menu ses castagnes conjugales et financières. Que lui vaut, enfin, sinon sa qualité de people et l’extravagant privilège conféré à ce titre de pouvoir donner un avis sur tout, d’être reçue sur les plateaux, dans le cercle bienveillant de ses comparses journalistes, pour y plaider ses humeurs d’indignée ambulante ? Pas fière mais faraude, elle ne manque pas d’en avertir les membres de son fan-club : demain matin, je passe à Europe 1, ce soir à C à vous, tantôt aux Grandes Gueules, etc. Des séquences insupportables de complaisance. Quelques secondes de promo sur son « actualité » - professionnalisme et leçon de morale collective se validant réciproquement -, puis, dans le recueillement général, la voici invitée à pousser son cri. L’instant est grave. On est entre humanistes de bonne volonté, qui servent un noble métier : Apathie, Bourdin, Cohen, Morandini… Il faut chercher loin, très loin, pour débusquer une voix dissonante et insolente. Celle du rappeur Seal, par exemple, dont elle a illico cherché à faire bloquer le compte et la diffusions de « propos inappropriés ». Au nom de la dignité, du respect, du féminicide – la coupe du censeur, ce redoutable parasite mondain, tapi sous les allures les plus à la coule, ne désemplit jamais.
Un doute l’a-t-elle effleuré, suite à la débâcle en rase campagne de ses collègues en meute du Tout Hollywood ? S’est-elle interrogée sur la dimension impitoyablement contre-productive de telles agitations ?
Absolument pas.
Le jour d’après, larmes séchées, la comédienne effaçait son tweet blafard. N’expose aucune trace de pathétique, ma grande. Pas de prise. Et depuis, elle a repris du service pour l’oligarchie heureuse et écologiquement sourcilleuse. Le 15 novembre, elle presse ses followers de signer une pétition contre Trump et ses menaces de saboter les accords de Paris sur le réchauffement climatique ? Un beau geste citoyen pour la planète. Mais pas un mot, en revanche, à propos de l’élégant hashtag « Rape Melania » (« Violez Melania »), que les clintoniens ont balancé sur les réseaux. La cause des femmes fait relâche au cinquante-sixième étage de la Trump tower.
Il est vrai qu’en France, le combat continue. Jacqueline Sauvage, « victime de la médiatisation prise par son affaire » (avocats), reste en prison. Rafale immédiate de tweets guerriers et organisation d’un rassemblement, destiné à solliciter la grâce présidentielle. S’annonce un rude débat intérieur pour le Prince, qui, certes, n’a plus grand-chose à perdre, mais n’ignore pas désormais que, céder à son bon plaisir en satisfaisant ses courtisans people, c’est du même coup s’aliéner la plèbe capricieuse.
François de Negroni