Sur les routes alternatives
Intriguée par ses nombreuses photos chez les Q'eros, j'ai finalement eu l'occasion de rencontrer Antoine George. Français installé à Lima et fondateur de Transhumancias, ce grand gaillard au regard vif et à la voix qui porte est, sans aucun doute, un conteur né. On peut facilement l'imaginer guidant un groupe de voyageurs en Amazonie ou dans des coins isolés des Andes, les captivant avec des légendes locales. Voici son histoire, qu'il m'a partagée autour d'un café matinal.
D'où viens-tu Antoine?
En réalité, d'un peu partout. Enfant, j'ai suivi mon père pour son travail à travers plusieurs régions. Puis, j'ai rapidement quitté le nid familial pour suivre mon rêve d'aller à Chamonix, qui reste encore aujourd'hui un lieu très important et symbolique pour moi. C'est là que j'ai découvert la vie, j'ai fait de l'alpinisme, de la montagne, du ski...et aussi la fête!
Comment es-tu arrivé au Pérou?
C'est une longue histoire. Quand j'étais enfant, j'étais très distrait et pourtant, je me souviens clairement de cette journée où la prof a pointé une carte en disant : " vous voyez cette tache bleue, c'est le Titicaca, et ce point noir c'est Cusco, la capitale des Incas ". À partir de là je n'ai pas arrêté de lire sur le Pérou.
Plus tard, j'ai eu un prof péruvien qui nous a donné un grand cours sur les civilisations précolombiennes. Pendant que mes camarades de classe s'ennuyaient, tous ces noms complexes me passionnaient et me faisaient rêver. À la fin de mes études, on a fait une fête et j'ai rencontré un copain qui m'a dit " Antoine, tu parles espagnol et tu fais de la montagne, tu ne veux pas aller au Pérou? Si tu veux tu pars dans une semaine accompagner un groupe avec Nouvelles Frontieres au Titicaca, à Cusco, à Lima "
C'était le rêve de ma vie! Je n'ai pas hésité un instant. Je ne pensais faire qu'un ou deux voyages, mais rapidement ils m'ont dit d'aller aussi au Mexique et en Bolivie. J'ai fait des rencontres qui m'ont emmené au Chili, en Uruguay, au Brésil, puis en Afrique.
En revenant de Namibie, j'ai rencontré le directeur d'une grande agence dans l'avion. J'ai donc passé 8 mois au Pérou pour cette agence en guidant des voyages de 3 semaines avec trek. Je me suis installé à Cusco et j'ai commencé à apprendre le quechua.
Et comment a commencé ton histoire avec le peuple Q'eros?
Je crois beaucoup en la synchronicité. Dans la vie, tu rencontres des gens qui sont des aiguilleurs et tu ne peux pas dire non. Donc, j'ai rencontré un gars dans un vieux train entre Puno et Cusco qui était photographe. Il m'a fait rencontrer un autre Français, anthropologue, qui allait chez les Q'eros. Il faut savoir qu'à ce moment là, la majorité de leur territoire n'était pas du tout connu.
Il m'a emmené à Totorani, une des cinq communautés Q'eros, et je suis tombé tout de suite amoureux. J'ai découvert un grand territoire de montagnes à explorer. Depuis, j'ai visité d'autres communautés et je dois en être à 50 voyages chez les Q'eros! C'est aujourd'hui comme une deuxième maison.
Grâce aux premiers voyages, on a d'abord réussi à construire une petite école en altitude. Ce sont des conditions très difficiles car normalement les enfants doivent marcher très longtemps pour descendre jusqu'à l'école la plus proche. De là, j'ai bâti un programme de développement touristique auto géré pour les Q'eros car le tourisme - bien géré- peut les aider à avoir de meilleures conditions, mais je tiens à ce qu'ils puissent eux-mêmes s'en charger.
Pourquoi avoir choisi de t'installer au Pérou?
En réalité, je n'ai jamais décidé de m'installer au Pérou. Là c'est la période la plus longue que j'ai passé au Pérou sans partir.
Quand je suis rentré du Cameroun, on a ouvert une petite guesthouse avec ma femme Luz Katharine à Cusco. Mais au bout d'un moment, tu t'ennuies à Cusco. Puis, ma femme est chanteuse et danseuse, et elle était en train de préparer un disque avec Felix Casaverde, qui est selon moi le plus grand guitariste du Pérou. C'était donc plus pratique de s'installer à Lima. Ici, on a ouvert Transhumancias.
Voici une vidéo de Luz KatharineQuels sont les voyages que tu proposes avec Transhumancias?
Je tiens à emmener mes voyageurs dans les endroits qui ne sont pas trop fréquentés, à la rencontre de gens qui n'ont jamais vu des touristes. J'aime aussi les expéditions dans la nature, dans les territoires vierges comme l'Ausangate, l'Amazonie, ou à Chachapoyas.
L'idée de proposer des voyages qui sortent un peu de l'ordinaire, en se concentrant sur les rencontres avec les communautés. Déjà, en priorisant l'hébergement chez l'habitant, mais aussi avec des activités qui permettent d'avoir des échanges humaines, comme cuisiner ou encore aller à la pêche avec eux.
Quels sont les plus grands défis pour un entrepreneur au Pérou?
Le plus grand défi est de trouver de bons prestataires, tu mets beaucoup de temps à établir un bon réseau de contacts. Il faut être très vigilant et toujours aller sur le terrain, parce que même avec 20 ans de relations de travail, ils essaient de gonfler les prix.
Y a-t-il des avantages par rapport à la France?
Les banques te prennent pas mal de commission mais sont super efficaces et c'est super facile de travailler avec les banques. C'est tellement facile que tu n'as pas envie de rentrer en France!
Et puis, les Péruviens ne sont pas trop compliqués. En général ils sont assez patients sur les paiements. Il faut dire qu'ici tout est basé sur la confiance. La majorité de l'économie péruvienne est informelle et ne repose pas sur des choses formalisées par contrat. Ils ont donc l'habitude de travailler et d'avoir des relations basées sur la confiance, beaucoup plus qu'en France.
Un point essentiel : ma femme a été mon maître. C'est elle qui m'a appris et elle continue de m'apprendre, malgré parfois mes résistances. Il fait une pause avant d'ajouter en riant : les Péruviens sont très rapides!
Quels sont tes endroits préférés du Pérou ?
Lamas, pour sa tranquillité, la simplicité et la gentillesse des gens. C'est une petite ville paisible au-dessus de Tarapoto et de son agitation avec des endroits magnifiques. C'est moi qui ai fait le plan de développement touristique de Lamas pour le maire, avec des collègues que j'ai embauchés. C'est un endroit vraiment sympa. On y trouve des petits hébergements qui sont très basiques mais super accueillants. Et puis j'aime bien la chaleur tropicale!
Phinaya et la laguna de Ccasccaracocha, dans la Cordillère de Carabaya. C'est une gigantesque plaine glacière avec un grand lac au milieu et des marais au pied de sommets glaciers qui la séparent de l'Amazonie. Un des plus beaux endroits de nature!
J'aime bien la région entre Trujillo et Chiclayo, la route Moche, Chachapoyas (Gocta est magnifique!), sinon les bodegas de pisco de Moquegua, la petite ville de Paucartambo, Kosnipata, en allant au parque de Manu et bien sûr...les Q'eros!
Qu'est-ce que la vie au Pérou t'a appris?
La liberté et l'indépendance, dit-il sans hésiter. Il y a une chose que j'admire beaucoup chez les Péruviens et c'est cet esprit de liberté et d'indépendance. Même s'il démarre en vendant 3 gâteaux dans la rue, tu peux très bien le retrouver propriétaire d'une chaine de supermarché : c'est un pays d'entrepreneurs.
Un Péruvien ne se laisse jamais aller, il va toujours trouver quelque chose pour s'en sortir!
Quels sont les conseils que tu donnerais à quelqu'un qui veut lancer un projet au Pérou?
D'abord, oublie le salariat. Fais plutôt comme un Péruvien : invente quelque chose et vends-le directement.
Tu peux faire quelque chose en lien avec ton pays, mais surtout n'aies pas peur de te lancer et oublie les prérequis. C'est très Français de se soucier des papiers, mais les conditions idéales n'existent pas. Éventuellement, oui, on a avantage à se formaliser et il faut faire bien attention à la façon dont on gère les choses, mais il faut d'abord se lancer et ensuite réfléchir au développement.
Il y a des choses importantes à apprendre pour travailler ici, c'est une éthique, un comportement, une manière de faire qui sont propres au pays et qui peuvent nous choquer à prime abord. Au début tu te dis " mais non, on ne peut pas faire comme ça", mais tu te rends compte que, si, ça marche. C'est une façon de gérer particulière et énormément de relations reposent sur la confiance.
C'est important d'éliminer ses propres barrières mentales et culturelles. Bref, deviens Péruvien.
Quels sont les projets qui t'attendent?
En plus de continuer de développer l'agence, et de nouveaux disques pour Luz Katharine, je veux commencer à faire du documentaire. On a d'ailleurs co-écrit le documentaire sur les Q'eros avec Romain Decombes de Bird Film.
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