« Des familles de mendiants somnolent sous les porches. Beaucoup de Parisiens ont à peine de quoi acheter du pain. Un journalier gagne dix sous par jour, un pain de quatre livres en vaut quinze. Mais le pays, lui, n'est pas pauvre. Il s'est même enrichi. Le profit colonial, industriel, minier, a permis à toute une bourgeoisie de prospérer. Et puis les riches paient peu d'impôts; l'Etat est presque ruiné, mais les rentiers ne sont pas à plaindre. Ce sont les salariés qui triment pour rien, les artisans, les petits commerçants, les manœuvres. Enfin, il y a les chômeurs, tout un peuple inutile, affamé. C'est que, par un traité de commerce, la France est ouverte aux marchandises anglaises, et les riches clients s'adressent à des fournisseurs étrangers (...). »
L'extrait, ci-dessus, de 14 juillet rappelle que l'Histoire ne se répète pas, mais a plutôt tendance à bégayer. Difficile de ne pas faire le parallèle 1789-2016 : une masse de pauvres et de chômeurs, des travailleurs exploités quel que soit leur statut, une bourgeoisie et des rentiers qui s'enrichissent impunément et un Etat très endetté...
Pour les moins férus d'histoire ou de sciences sociales, les journaliers étaient les travailleurs, les moins rémunérés et les plus corvéables de l'Ancien régime jusqu'au Front populaire, qui louaient leur force de travail à la journée. Ces travailleurs sans droit, ni contrat de travail, c'est le rêve des Fillon-Macron qui sont à la politique ce que les Dupont Dupond sont à Tintin.
« Ce n'est plus une cité, avec son agora, son forum, c'est une grande ville moderne, avec ses faubourgs, la misère qui s'agglutine autour d'elle, saturée de nouvelles et parcourue de rumeurs. On y trouve des gens de toute la France, de l'étranger même, des émigrés parlant leur patois, mêlant leurs vies, et accédant à l'expérience du très grand nombre, l'anonymat. Oui, désormais, nous sommes anonymes, dégarnis de la famille ancienne, purgés des rapports féodaux, désempêtrés du coutumier, délivrés du proche. »
Avec talent et probablement après avoir lu des témoignages et des archives relatifs à la population parisienne de l'époque, l'auteur brosse le tableau vivant du 14 juillet 1789. Le peuple parisien, si divers et pourtant uni par les souffrances, les privations, les injustices et aussi la volonté de lutter pour sa liberté, se dirige vers le symbole de la féodalité et de l'oppression, l'assiège, l'envahit et l'abat au risque de mourir.
« La ville est un réservoir de main-d’œuvre pas chère. Or, on apprend beaucoup à chômer. On apprend à traîner, à regarder, à désobéir, à maudire même. Le chômage est une école exigeante. On apprend que l'on est rien. Cela peut servir. »
Sous la plume d'Eric Vuillard se détachent quelques portraits de ces anonymes qui n'en peuvent plus d'être sous le joug d'un régime qui les maintient dans la misère. Au fil des pages, on ressent l'ambiance, la tension, la peur, l'enjeu et l'espoir qui s'entremêlent. Ce 14 juillet est plein de vie. Et quelle vie, quel dynamisme, quelle volonté... A mille lieues des commémorations officielles, pleine de pompe, guindées, encadrées militairement, terriblement convenues et bourgeoises qui ont désormais lieu ce jour-là.
« Désormais, le mot tiers état, pour les types comme lui, cela veut dire le pauvre contre le riche, l'ensemble de la nation contre une poignée de privilégiés (...). »
A lire, ou plutôt à dévorer !