Le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg prend, chronologiquement, le relais du Musée des Beaux-Arts ; le grand plâtre du Penseur (1904) de Rodin qui accueille les visiteurs fixe les premières pièces de la collection à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les Impressionnistes et Post-impressionnistes y sont bien représentés, avec des paysages de Sisley, des toiles de Pissarro, Renoir, un Monet un peu brumeux (Champ d’avoine aux coquelicots, vers 1890) et un Signac très lumineux (Antibes, 1914).
Suivent des œuvres de Jacques-Emile Blanche, Maurice Denis (Lumière intérieure, vers 1914), Gauguin, Vallotton, Dufy, un portrait fauviste de Kupka qui annonce déjà l’expressionnisme (Rouge à lèvres n°II, 1908), un beau buste de Gustav Mahler par Rodin. Quelques Picasso assez moyens, dont la Femme à la guitare (1924) qui n’a pas la force de la Jeune Femme à la mandoline (1910, MOMA), voisinent avec un beau Juan Gris et un superbe Braque, emblématique du Cubisme analytique, Nature morte (1911).
Dans le domaine de l’abstraction, une belle place est réservée à Vassily Kandinsky avec, notamment, une réplique du Salon de musique qui fut réalisé pour l’exposition d’architecture allemande de Berlin en 1931. Dada et les surréalistes occupent aussi plusieurs salles où sont accrochées des œuvres de Picabia, Max Ernst, Roberto Matta. On note encore la surprenante sculpture en bronze de Magritte Madame Récamier de David (1967), tirée de la toile-pastiche de 1951 pour laquelle la belle Juliette fut remplacé par un cercueil qui en épousait la forme. Né à Strasbourg, Jean Arp reçoit naturellement un hommage appuyé avec des peintures, des gravures et une vaste salle lumineuse où sont exposées de fort belles sculptures. Celle-ci est suivie par une autre salle où se trouve un intéressant ensemble de Victor Brauner, dont La Parole (1938) et Arc en ciel (1943). Cette dernière toile porte une émouvante dédicace à sa femme Jacqueline.
Face a cette collection permanente, s’étend sur deux niveaux un vaste espace dédié aux expositions temporaires. Jusqu’au 26 mars 2017, « L’Œil du collectionneur » propose les œuvres de neuf collections privées strasbourgeoises d’art moderne et contemporain, organisées autour de sous-titres qui introduisent autant de thématiques. La collection Esther et Jean-Louis Mandel regroupe des gravures étonnantes, d’abord de Max Klinger, toujours aussi étranges dans leur veine symbolique, notamment Début de printemps (1879) et La Poursuite qui plonge, avec quinze ans d’avance, dans l’univers du Cri de Munch. Suivent des gravures allemandes de l’entre-deux guerres, qui offrent un ensemble saisissant de ce que l’esthétique expressionniste pouvait offrir de meilleur : Bernhard Kretzschmar (Dans une Boucherie, 1921), Conrad Felixmüller (Bien aimée, 1921), Otto Dix (Marchand d’allumettes, 1921) ou Oskar Nerlinger (Scène de bordel, 1917). La force du noir et blanc saute au visage du regardeur, tout comme les estampes de Lea Grundig (Gestapo à la maison, 1934 et Jeux d’enfants, 1935) qui introduisent déjà une série intitulée « Gravé pour mémoire » de Zoran Music inspirée par le camp de Dachau. On trouvera par ailleurs une réunion d’intéressantes estampes de Pierre Alechinsky, Bram van Velde, Sam Francis ou Tom Wesselmann. Il ne sera pas facile aux non-spécialistes de distinguer ces dernières, dans la mesure où les commissaires ont choisi d’en regrouper certaines (parfois plus de 10 !) sous un seul cartel, aucune n’étant identifiable, ne serait-ce que par un numéro d’ordre. La remarque sur cette agaçante méthode, qui ne milite guère en faveur de l’accessibilité de l’art aux néophytes, s’applique tout autant aux gravures de Max Klinger précitées.
A l’étage, outre une présentation d’artistes strasbourgeois – notamment Michel Krieger et son œuvre insolite Cellule 2347 (1980/82), plusieurs salles sont dédiées à Pierre Alechinsky (lithographies, livres illustrés) et ses amis du groupe Cobra, comme Asger Jorn ou Manessier.
Un autre étage offre d’extraordinaires volumes d’exposition, aptes à mettre en valeur des pièces et des installations de dimensions monumentales. Y sont regroupées, notamment dans la collection J+C Mairet, des œuvres de Charles Dreyfus dont les titres appartiennent au registre du calembour poétique, comme cette horloge aux aiguilles folles, Temps danse (1983-2000), d’autres du plasticien Chan Kai-Yuen qui met en scène la thématique, récurrente dans sa production, du poulet autour de sculptures en résine polychrome; il revisite L’Origine du monde de Courbet (Rodin sur Courbet, le Penseur sur L’Origine du monde, 2003) et la Fontaine de Marcel Duchamp (Je pense donc je suis, 2010). Daniel Buren est aussi présent, ainsi que Roman Opalka (collection G. et M. Burg) qui propose une passionnante installation de cinquante autoportraits réalisés chaque année dans le même cadrage, de 1965 à 2008, comme une réflexion sur l’âge et le temps qui s’écoule.
Dans une dernière salle, presque confidentielle, sont réunies des œuvres d’inspiration érotique où l’on retrouve des gravures de Félicien Rops (Joueuse de flute), Picasso, Roland Topor, Hans Bellmer, une photographie d’Henri Maccheroni et une malicieuse sculpture de Corine Borgnet, God Mickey (2016), transmutation phallique de la célèbre souris qui pourrait idéalement illustrer la chanson de Serge Gainsbourg Mickey Maousse…
Illustrations : Paul Signac, Antibes, 1914 – René Magritte Madame Récamier de David (1967) – Victor Brauner, Arc en ciel (1943) – Oskar Nerlinger, Scène de bordel (1917) – Chan Kai-Yuen , Rodin sur Courbet, le Penseur sur L’Origine du monde (2003) – Roman Opalka , installation d’autoportraits. Photos © T. Savatier.