La France est un pays merveilleux où on plante des administrations et il pousse des taxes, des impôts et des files d’attente interminables. Et devant cette situation, inutile de préciser que le peuple français fait preuve d’un vrai courage.
Il y a par exemple ceux qui, devant l’accumulation un peu trop importante de leur temps passé à gérer les problèmes administratifs créés de toute pièce par une machine devenue folle, choisissent toutes les formes de fuites possibles.
L’expatriation vient immédiatement à l’esprit, qui est la fuite intellectuellement la plus simple mais qui demande du courage puisqu’on doit effectivement quitter son pays, sa famille, ses habitudes et son mode de vie pour s’adapter à un autre pays, et demande aussi de l’obstination tant ceux qui restent en France font généralement tout pour dissuader le fuyard dans son entreprise.
Le travail au noir permet une autre forme de fuite, celle qui permet d’échapper aux radars fiscaux notamment, et qui autorise celui qui le pratique à renouer avec le sens de la clientèle : travaillant directement pour elle, sans l’intermédiaire encombrant, coûteux et contre-productif de l’État, le travailleur au noir est obligé, pour que son activité lui permette d’en vivre, d’offrir un niveau de service décent, que le respect scrupuleux de toute la paperasserie administrative ne permet parfois plus. Cette fuite « à l’intérieur du système » comporte bien évidemment des risque et demande donc une autre forme de courage et ce d’autant plus que la jalousie, sport national de ceux qui ne peuvent déployer ce courage, entraîne souvent la délation, habitude ancrée dans les mœurs.
Enfin, notons la fuite complète, totale et assumée vers la plus petite exposition fiscale possible, qui consiste à diminuer son activité, diminuer ses dépenses, diminuer aussi ses revenus et ses bénéfices pour rentrer enfin dans le cocon administrativement douillet des classes défavorisées qui peuvent au moins prétendre à bénéficier d’aides et d’abattements rigoureusement inaccessibles aux classes qui les financent. Le courage évident se situe ici dans l’abnégation, la frustration et les limites qu’on doit s’imposer pour ne pas se hisser à la hauteur qu’on sait pouvoir atteindre mais rester sagement à celle qui met à l’abri des tirs nourris de Bercy.
Et quand la fuite n’est pas au programme, s’ouvre alors à l’inventif le royaume de la débrouille, du système D et des petits arrangements qui permettent sinon de s’enrichir, au moins de trouver quelques ressources supplémentaires d’un quotidien qui en est de plus en plus dépourvu.
Un assez bel exemple de cette débrouille bizarre nous est récemment fourni par un petit article du Figaro qui nous retrace les aventures des usagers dans la Caisse d’Allocations Familiales des Bouches-du-Rhône, confrontés à des files d’attente interminables.
Pour éviter de supporter le délai bien trop important que ces files génèrent, certains allocataires rachèteraient les tickets, selon les affirmations que Lionel Zaouati, secrétaire général CGT de la CAF 13, a tenues lors d’une interview à France Bleu. Selon lui, « certains allocataires font la queue dès 6h30 à Marseille » ; et certains autres n’hésitent alors pas à débourser 4 euros pour racheter des tickets, ou à payer quelqu’un pour leur garder leur place dans la file d’attente.
La direction de la CAF en question a essentiellement montré de la surprise et un peu de consternation, en appelant les usagers concernés à se manifester (ben tiens), parce que, comprenez-vous, il serait inadmissible que certains puissent se rémunérer (même modestement) sur l’incapacité chronique et délétère de cette administration à gérer son flux de « clientèle ».
Eh oui, mon brave monsieur, ma bonne dame, nous sommes en France, pays de l’égalité devant la loi (ou presque), dans lequel il ne peut être envisagé que ceux qui peuvent débourser 4 euros pourraient voir leur demande traitée prioritairement, où il n’est pas pensable qu’on puisse organiser les gens en fonction de l’urgence de leurs besoins, et un pays où, surtout et avant tout, l’utilisation du marché pour organiser les préférences et gérer l’urgence est absolument à proscrire tant il est évident que le marché est l’alpha et l’oméga des œuvres du diable en personne.
Bilan : même si les files s’agrandissent, même si les retards de traitement des dossiers grandissent inexorablement, on va éventuellement, si le temps le permet, combattre pied à pied ce genre de dérives mercantiles du système pourtant éprouvé du distributeur automatique de ticket pour guichets numérotés. Quant à la gestion calamiteuse des dossiers en souffrance, l’accumulation des retards dans les traitements, la complexité invraisemblable des démarches, l’accueil pourrissime des assujettis ou des usagers et l’absentéisme galopant des fonctionnaires et assimilés, c’est-à-dire essentiellement la racine du problème, ne comptez pas trop sur ces mêmes administrations et leurs têtes bien pensantes pour s’y attaquer. On est en France, môssieur ! Doit-on vraiment vous rappeler que le reste du monde nous envie notre système social ?
J’avais noté, dans un précédent article que je vous encourage à relire, que l’impôt le plus injuste, le plus lourd et le moins visible était celui du temps, payé par les pauvres, qui n’ont pas les moyens de faire faire à leur place et doivent donc se taper, systématiquement, toutes les démarches, directement, à commencer par les démarches administratives, et qu’ils font donc au détriment de toute démarche productive, rentable, qui pourrait concourir, elle, à améliorer leur niveau de vie.
Je notais d’ailleurs dans ce cadre que l’appauvrissement d’un pays se caractérise spécialement par l’apparition de longues files d’attente dans les administrations et de queues dans les magasins. Les économies communistes ont amplement démontré la solidité de cette observation, et la collectivisation rampante mais ininterrompue de la France permet de l’accréditer encore : chaque administration dispose maintenant de sa file, de ses horaires alambiqués, de ses systèmes de tickets et de guichets numérotés qui permettent de gérer les flux massifs d’usagers (usagés ?).
Eh oui : à chaque problème (d’ailleurs généralement créé par l’État et ses sbires) correspond une solution, apportée par l’État et ses administrations, dont la mise en place générera, par nature, d’innombrables tracasseries pour celui qui tentera d’en faire usage, des ralentissements, et l’absolue nécessité de bien gérer un flux de demandes toujours croissant pour une offre au mieux constante, au pire décroissante.
Le symbole de la France n’est plus Marianne, c’est un distributeur de tickets pour file d’attente.
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