La semaine passée et alors que la campagne d’entre deux tours des primaires de la droite faisait rage et balançait de l’anathème en production industrielle, je m’étais furtivement intéressé aux péripéties de la prochaine loi de finance pour le pays en notant que, d’une part, le Sapin de Bercy était parvenu à nous pipeauter une croissance bien trop optimiste et, d’autre part, qu’il avait réussi, après moult rebondissements, à nous insérer sauvagement un bon prélèvement à la source des impôts pour l’année 2018.
Eh oui : pendant que certains sont tout occupés à déceler (et dénoncer) les micro-traces de libéralisme du candidat Fillon dont d’autres trouvent qu’il tient plus du Schröder que de la Thatcher, le pays, toujours dirigé avec le brio qu’on soupçonne, continue d’avancer doucement vers l’un des plus gros chocs de simplification fiscale qu’on peut imaginer.
Enfin, je dis « simplification », mais il devient évident, à mesure que les textes de lois s’empilent les uns sur les autres, que la « simplification » liée au passage du prélèvement à la source sera tout sauf une simplification. En revanche, le choc est de plus en plus garanti, et il devient même difficile d’imaginer qu’il se passera sans casse, sans cris et sans grincements de dents.
Heureusement, l’État, jamais en mal de solutions aux myriades de problèmes qu’il s’est employé à créer avec application, a, là encore, trouvé une façon de limiter ses déboires. Oui, bien sûr que l’administration et notre ministre en bois dont on fait les pipeaux et les cercueils se doutent que la mise en place de la retenue à la source va provoquer moult chambards et force pleurnichements de contribuables. Oui, bien sûr que notre armée de crânes d’œuf et de politocards approximatifs ont la confuse idée que cette nouveauté promet son lot d’abominations fiscales et, très certainement, un terrible mankagagner pour l’État le temps que les problèmes (ou les contribuables) se résorbent gentiment.
Bien sûr.
Mais rassurez-vous, ces mêmes crânes d’œuf et ces mêmes énarques à la petite semaine ont déjà trouvé une solution, à la fois pratique, simple, peu coûteuse et culturellement tout à fait acceptée par l’ensemble de la population du pays : on va compenser les petites fuites fiscales ici et là en faisant appel à la foule, pardi !
Attention, j’en vois quelques uns qui s’imaginent que le gouvernement, soudain hype, fashion et branchouille, se serait lancé dans une espèce de crowdfunding fiscal étrange et merveilleux, faisant ainsi appel à une méthode à la fois moderne et technologiquement en avance pour financer l’État. Redescendons tout de suite sur terre : nous sommes en France, et le pragmatisme fiscal ne saurait avoir cours. Quant à l’usage des nouvelles technologies, il sera strictement décalé d’une bonne vingtaine d’années pour nous assurer que le Minitel ne soit pas trop durement concurrencé.
Plus prosaïquement, il s’agira donc de ressortir les méthodes qui ont fait leurs preuves à de précédentes occasions, notamment pendant les Heures Les Plus Surveillées de notre Histoire : oui, vous l’avez compris, remettons la délation au goût du jour, pardi !
Et c’est ainsi que, dès 2017 mes petits amis, il sera possible de demander de l’argent au fisc en échange d’une information lui permettant de mettre à jour une fraude fiscale d’ampleur ! Youpi ! On va enfin pouvoir saigner le gros bourgeois d’à-côté sans avoir même à se déplacer (un coup de fil, que dis-je, un e-mail discret suffira) ! Voilà qui va, enfin, aider que l’État étende son bras griffu partout où il le peut ! Et quoi de plus juste, quoi de plus normal, quoi de plus égalitaire et quoi de plus vivrensembliste qu’on aille trouver chez notre voisin les ressources qui nous manquent indirectement ?
Après tout, c’est la démocratie ! Et tant mieux si elle a permis qu’on taxe partout et tout le temps ceux qui ont l’impudence de gagner de l’argent, si elle encourage les riches à s’enfuir et les pauvres à planquer ! Un pays égalitaire ne saurait ainsi souffrir d’une ponction mal répartie qui ne toucherait pour le revenu que la moitié des foyers fiscaux et … heu enfin bon, vous l’avez compris : la délation, c’est supayr puisque cela permet enfin à tous ceux qui ont une vraie mentalité de kapo de s’exprimer pleinement et d’aider directement l’État dans ses tâches les plus basses, à côté de la guerre et du lavage de cerveaux.
Et de nos jours, toute aide n’est pas forcément bénévole : la grandeur de la Nation, c’est bien joli, le vivrensemble, c’est très mignon, mais ça ne fait pas bouillir la marmite. C’est pourquoi la loi prévoit même que l’heureux délateur touche un petit quelque chose pour son œil vigilant et sa morale tirée au cordeau !
Cette mesure, introduite dans la loi pour une durée expérimentale de deux ans, permettra rapidement de connaître l’étendue de la fraude fiscale dans le pays et surtout, la profondeur de l’appétit des délateurs. La vingtaine de frétillants députés qui ont insinué l’amendement propre à enfin rémunérer les petits cafardeurs ont de toute façon une excellente justification à leur proposition : d’autres pays ont tenté la chose et ne s’en portent que mieux ! (Et du reste, on n’aura pas la force de leur faire remarquer que d’autres pays ont aussi tenté la torture, la spoliation ou des atrocités pires encore sans qu’on doive pour autant s’en inspirer).
Dans la logique simple de nos députés (qui ont été élus par un nombre considérable de citoyens, ne l’oublions jamais), la fraude doit être absolument combattue, l’État étant en substance le possesseur ultime de toutes choses sur le territoire français. Ils ne chercheront jamais à comprendre pourquoi la fraude, en France, augmente, pourquoi elle suit le même chemin que le taux d’imposition, le taux d’expatriation et le taux de chômage. Et s’ils sont comme tant d’autres députés, ils ont soigneusement fait les démarches nécessaires pour échapper eux-mêmes à l’opprobre fiscale, soit en utilisant tous les moyens (légaux mais moralement discutables au regard de leurs positions dans cette sombre affaire), soit en votant ceux qui leur manquaient.
Résumons : à partir du premier janvier, et contre toute attente économique, le gouvernement va certainement créer de nouveaux petits boulots tout à fait rémunérateurs. Ils consisteront à dénoncer vos amis, vos voisins, vos connaissances au fisc (parions au passage que certains dealers et d’autres mafieux, même dénoncés, ne verront jamais le staff de Bercy débarquer chez eux).
À cette occasion, peut-être la courbe du chômage s’inversera-t-elle ? Allez savoir. Mais en tout cas, ne l’oubliez jamais : l’État veut votre bien, tout votre bien.
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