2 septembre 1870: la Prusse reçoit la capitulation de la France. En quelques semaines à peine, les troupes prussiennes s’emparent du nord de la France. Trois jours plus tard, le peuple et la Garde Nationale réclament la déchéance de Napoléon III, fait prisonnier, qui a manifestement un petit peu chié dans la défense du pays. L’impératrice Eugénie préfère opportunément prendre la fuite – et Jules Favre, vite suivi par les députés républicains, instaure un gouvernement de Défense nationale. Le général Jules Trochu, jusque là gouverneur de Paris, en prend la tête.
Enfin je sais pas pour vous mais moi toutes ces couleurs je trouve que ça rend cette reddition à Sedan ultra-festive. Détail – mais sans les cadavres devant ça fait vachement scène de fin de Cendrillon.
C’est bien mignon tout ça, mais les prussiens sont toujours aux portes de Paris – et ça, c’est pas cool. Pas le temps de s’installer pépère au pouvoir, les premières proclamations officielles sont consacrées à la défense nationale. Le plan est de résister jusqu’au bout, et cette défense va se faire par la voie du siège. Si la protection de la province est assurée depuis Tours, le plus gros de l’action se concentre sur Paris: dans un geste très symbolique, Trochu fait rentrer dans la capitale l’armée de 40 000 hommes sous la commande de Vinoy. Cela dit, même avec 40 000 hommes de plus, Paris est toujours mal barrée – la ville dispose au total de 220 000 hommes. Le 15 septembre, officiellement mandaté, Adolphe Tiers entreprend de parcourir les capitales européennes pour que les voisins envisagent de filer un coup de main – en vain. Parce que, mine de rien, les Allemands affichent au début du siège 150 000 hommes avec un avantage tactique et psychologique – et avec la libération des troupes occupées à d’autres sièges, le chiffre monte lentement jusqu’à 400 000. Autant dire que ça craint.
Enfin, c’est pas la question – on sait que tout ce bordel finit avec une victoire allemande, la signature du traité de Francfort, et l’annexion de l’Alsace-Lorraine par nos voisins (et beaucoup de comptes à régler pendant un siècle). Non, nous sommes ici pour dire que pendant le siègle, qui débuta officiellement le 17 septembre 1870 et s’acheva le 26 janvier 1871, se sont déroulés quelques trucs pas très jolis jolis. La fin justifie les moyens, tout ça, tout ça. La faim, ici, en l’occurence.
C’est cool et tout, Paris – peut-être même qu’à cet époque il y avait de pires endroits où être enfermé pour quelques mois. Mais Paris, c’est comme toutes les villes du monde. A un moment ou à un autre, les gens ont besoin de manger – sinon ça part vite en sucette, et il n’y a plus de population à protéger. Le haut commandement allemand avait initialement prévu un blocus de la ville pour obtenir une capitulation rapide, mais la capitulation « rapide » a tout de même pris 4 mois et des patates, pour finalement être soldée par des bombardements (de loin plus efficaces) – et, à ce stade, les ressources de Paris avaient été épuisées. Ni plus, ni moins. Au début il y avait les viandes habituelles, le beurre, le lait, le fromage, les légumes – tous les stocks communs. Et puis il n’y eut plus rien de tout cela: dès le 26 octobre, la Gazette des Absents nous disait « Ah! mes amis, qu’il fait donc faim dans une ville assiégée! (…) Voilà que nous ne passons plus devant une boucherie sans y jeter un regard de convoitise. » Alors… on décida d’abattre les chevaux: le même numéro de la Gazette nous indique « Nous mettons le cheval au pont, en daube, broche ; voilà qu’on nous offre du mulet, de l’âne ; l’arche de Noé finira par y passer toute entière ». Les estimations vont jusqu’à 70 000 chevaux ainsi consommés – y compris ceux offerts à Napoléon III par le tsar Alexandre II. Certes, l’hippophagie avait été utilisée jusque là comme source de viande bon marché pour les populations les plus pauvres – mais elle devint très vite, dans ce contexte, un luxe pour les plus hautes couches de la société. Les ressources s’épuisant à un rythme affolant, même dans ces circonstances, les plus hautes couches en question en furent vite réduites à faire comme les plus pauvres: se tourner vers les rats. Puis les chiens et les chats.
Grosse ambiance à la boucherie
Nope, ça donne pas envie – même si les restaurants dédiés au parisiens les plus fortunés s’efforçaient d’y mettre les formes à grands coups de « salmis de rats à la robert » au Jockey Club, ça donne vraiment pas envie. De toutes façons, le nombre de chats et de chiens à Paris restait limité – et les meilleurs cuistots comme les meilleurs bouchers rechignaient à utiliser trop souvent la viande extrêmement déplaisante du rat. Vous serez en revanche ravis d’apprendre que « le civet de chat était de tous points excellent » d’après Adolphe Michel, qui raconte le siège dans Le siège de Paris, 1870-71, publié en 1871 – il s’exclamait aussi sur l’exquis « plum-pudding à la moelle de cheval » et ajoutait, à l’adresse de qui faisait la fine bouche, « Allons, mesdames et messieurs, un peu de courage ! Il n’y a que le premier plat qui coûte ». Mais bref – tout près d’une nouvelle pénurie, une dernière solution se présenta: les animaux de zoo.
Dans le massacre qui en suivit, seuls furent épargnés les singes (trop proches des humains), les lions et les tigres (trop dangereux) et les hippopotames (le prix demandé pour leur viande était de loin hors de portée des bouchers: 80 000 francs). Antilopes, zèbres et chameaux ne posaient en revanche pas le moindre problème – puis d’autres habitants du zoo du Jardin des Plantes. Le restaurant Voisin se mit alors à présenter fièrement des plats aussi improbables que le « Chameau rôti à l’anglaise », le « civet de Kangourou » et la « Terrine d’Antilope aux truffes » sur sa carte, dans un menu daté du 25 décembre 1870, aka « 99e jour du siège »: une mention apposée au sommet du document, probablement dans une tentative de justification du menu pour le moins inhabituel.
Sans une once d’option végétarienne !!
L’épisode le plus marquant pour la population parisienne fut certainement celui des éléphants du zoo, Castor et Pollux. En effet – ils étaient devenus de véritables stars du Jardin des Plantes, et des balades sur leurs dos étaient souvent programmées. Leur nom était connu au point qu’ils eurent droit à un article dans la Lettre-journal de Paris: Castor fut tué le 29 novembre 1870 (supposément), Pollux le lendemain, par M. Devisme. Ils furent achetés par la « Boucherie Anglaise » du boulevard Haussmann, au prix de 27 000 francs – une belle affaire, comme la viande des trompes se vendit à 40 / 45 francs la livre, et le reste à 10/14 francs la livres. Tout ça pour quoi? Henry du Pré Labouchère, qui couvrit le siège dans son journal, déclara sans détour au 6 janvier: « J’ai pris une tranche de Pollux à dîner hier. Pollux et son frère Castor sont deux éléphants qui ont été abattus. C’était dur, grossier et huileux, et je recommande aux familles anglaises à même de se procurer du bœuf ou du mouton de ne pas manger d’éléphant. » C’était bien la peine, quoi. Mais au moins, c’est bon à savoir.
Je veux bien que ça soit un éléphant et tout hein, mais ça fait quand même la blinde de monde juste pour se faire une bouffe. Et les gamins à droite ils ont pas l’air très jouasse.
Bibliographie / Webographie
- Gallica, c’est la vie, et vous y trouverez Le siège de Paris de Adolphe Michel tout en entier juste là ! Vous en voulez en quoi? Vous aimez les journaux de siège? Bah celui de Henry du Pré Labouchère (c’est quand même méga ironique comme nom) est dispo, en anglais, sur le projet Gutenberg: c’est par là !
- Parce que Hérodote c’est méga cool, vous pourrez en apprendre vite-fait-bien-fait plus sur la capitulation à Sedan par là. Si votre truc à vous, c’est la guerre, wikipedia (oui oui) propose une fort chouette chronologie du siège, et l’encyclopédie larousse un petit résumé !
- Si ça vous embête pas trop de lire en anglais, y’a un chouette article à lire sur jstor: « And they ate the zoo », par Rebecca L. Spang, juste ici.