Ana Tot – Méca [Le Cadran ligné, 2016]
Article écrit pour Le Matricule des anges
« Les choses ne sont pas comme elles sont », première phrase. À moins qu’elles le soient. Ou qu’elles soient autres et que derrière leur apparence d’être une chose qu’elles ne sont pas, elles cachent en vérité un monde de variantes qui ne cesseront de nier, et en niant, de renforcer, la réalité des choses. Il y a une logique dans tout ça. Et la logique, dans ce petit livre, importe. Quand bien même elle tient parfois du syllogisme. Une logique inquiète, qui inquiète celui qui s’inquiète et tente alors de tirer ça au clair. Beckett n’est pas loin, il rode. Comme un fantôme amical plutôt que comme une présence écrasante. La logique serait-elle dans Méca ce mot en gras, entre parenthèses, qui vient conclure chacune de ces « proses poétiques » d’une ou deux pages (si tant est qu’il s’agisse de prose, si tant est qu’il s’agisse de poésie) ; mot qui sert également de titre, et qui dès lors, plutôt que conclure, ouvre : « m’effleure », « rumination », « pouvoir », etc.
Ana Tot propose au lecteur une série de constructions mentales obsessionnelles qui tentent à chaque fois d’épuiser une matière aussi pauvre qu’inépuisable, existentielle certainement en ce sens qu’on ne cesse de s’y chercher, de s’y trouver et de s’y perdre à nouveau : « j’ai parfois besoin de me dédoubler. Je me parle alors comme si je m’adressais à un autre » ; « moi, c’est moi. Mais il arrive que quelqu’un prenne la parole à ma place ». Qui parle, ici ? Ce n’est pas clair, car celui qui parle pourrait bien dire ce qu’il aurait pu dire s’il avait dit ce qu’il voulait dire. Qu’importe, « nous avançons », « nous perdons l’équilibre et nous marchons, par la force des choses, nous faisons un pas pour nous rattraper ou bien nous tombons, ce qui revient au même ». Il y a des histoires dans ce monde sans histoire, « tandis que l’œil aveugle continue de scruter les nuances de ma vie intérieure ». Au final, il s’agit peut-être « d’en finir avec les certitudes ».