Je travaillais à la Cinémathèque Québécoise à cette époque. Parfois à la caisse, parfois en salle, parfois à la boutique, parfois aux expositions.
Cette fois j'étais à la caisse. Il fallait un billet pour entrer en salle, abonnement annuel ou pas. Billet donné par moi.
Il y avait des règles qui différaient de toutes les salles de cinéma autres que celle de la Cinémathèque. Une fois le film commencé, plus personne ne pouvait y entrer et idéalement devait n'en sortir qu'à la fin. La clientèle de la Cinémathèque en est une sophistiquée. Aucun aliment, ni boisson n'était toléré en salle en raison du bruit. L'écoute devait être totale et sans interférence sonore. Les urgences hygiéniques, avant ou après au possible, mais une fois la projection en marche, plus de mouvements ni de circulation. Lorsqu'en poste en salle, nous avions même ordre de nous asseoir sur un banc prévu à cet effet pour nous, le premier sur le bord de la porte. Pour faire de gros yeux à ceux qui se rendaient aux toilettes, ou pour s'assurer que le visionnement soit optimalement et auditivement parfait. Si on entendait un sac de chips, nous devions aller le confisquer. Le son ne devait venir que de l'écran.
Heureusement ce n'était pas encore la folie des téléphones.
C'était pointu, mais tout le monde comprenait et acceptait les règles. Comme, plus souvent qu'autrement, les clients fonctionnaient par abonnements annuels, ne payait qu'une seule fois par année, et pour tout, toute l'année, il aurait été facile de faire preuve d'indiscipline et de se pointer n'importe quand, pour en sortir n'importe quand, et ainsi déranger tout ce public pointilleux. Quand on ne paie pas, voir 15 minutes, ne pas aimer et quitter, c'est facile. On a rien payé. Mais non. Ça, on en voulait pas. C'était une mesure de prévention de comportement.
Nous voulions aussi éviter que des gens aillent voir, en période de festival souvent, un film ailleurs et choisissent de venir voir la suite d'un autre film en cours à la cinémathèque. (pas grave, ça me coûte rien, je paie à l'année!) Une double porte nous donnait la chance, de la salle, de filtrer ceux qui tentaient de s'introduire trop tard.
Et de les refouler. Ce qui était rare. La règle était connue et respectée.
Une fois, une personnalité médiatique très connue, s'est pointée alors que le film était en cours depuis plus de 25 minutes. Elle insistait pour que je la laisse entrer tout de même. Précisant qu'elle avait été voir un autre film ailleurs, et qu'elle avait prévu venir voir le reste de ce film en cours, même si elle se savait en retard de 25 minutes. En me disant ceci, elle s'incriminait et me confirmait le comportement exact pour laquelle la règle avait été inventée et que vous voulions enrayer. J'ai été ferme. Je lui ai dit pas question. Elle a insisté en haussant la voix et en tentant comme argument quelque "vous ne savez pas qui je suis?" auquel je répondais "C'est de très peu d'importance, c'est par respect pour les usagers" (comme nous appelions les clients de la Cinémathèque alors, pointu je vous dis).
C'était de plus, une règle avec laquelle elle aurait dû être familière car son chum et elle étaient tous deux membres du Conseil Administratif de la Cinémathèque. Mais ça, l'usager s'en moque quand il entend quelqu'un faire du bruit pendant son Fassbinder ou son Fellini. Il n'est que dérangé.
Pendant que j'argumentais avec elle, pas un, ni deux, mais bien trois autres collègues, sont venus à ma rescousse quand elle menaçait de prendre feu et de se plaindre au pape, et ils m'ont aussi défendu. Elle est devenue une enfant quand elle a commencé à traiter l'un d'entre nous (qui arborait une petite barbe) de chèvre. On lui a tous laissé nos noms pour qu'elle se plaigne au bon endroit et comme elle le souhaitait.
Nous ne faisions qu'appliquer une règle dûment votée par les membres eux-mêmes, qui étaient les vrais propriétaires de la Cinémathèque. C'était leurs abonnements (et quelques subventions gouvernementales)qui faisaient vivre l'endroit. Nous ne pouvions la laisser briser une règle soigneusement construite contre son exact mauvais réflexe du moment. Une règle extrêmement respectée (et comprise) du temps que j'y étais.
Le lendemain, son chum et elle faisaient dérailler la réunion prévue au C.A. en la faisant annuler par représailles. Nos patrons sont venus nous voir et, même si on les sentait un peu ébranlés, ils nous ont donné raison. Cette reine abeille avait tort. Fallait pas se laisser piquer.
Cette personnalité est connue comme drama queen dans le milieu, mais comme "héroïque" en public.
C'était écrit partout, compris par tous, souhaité par la plupart. La cinémathèque avait un snobisme assumé et ceux qui n'y comprenaient pas les règles devaient se loger sous d'autres parapluies.
Ce n'était pas une interprétation de la règle, c'était tout simplement la règle et elle incarnait, par A+B le pourquoi de l'invention de cette règle.
C'était de la petite petite politique, dans une petite petite vie.
Dans la grande grande vie, au tout nouveaux États-Unis, en septembre 1787, lors de la rédaction de la Constitution, les pères fondateurs et rédacteurs se méfiaient beaucoup de "la démocratie pure". République, les États-Unis souhaitaient que l'élection soit ultimement avalisée par des hommes capable de discernement, ce que l'on appellera (encore de nos jours) le Collège Électoral.
Bien que les grands électeurs n'aient jamais inversé le résultat final des votes au scrutin, il ne fait jamais l'unanimité non plus. Il avalise mais avec 39 votes sur 55 (lors de la constitution) ou encore avec plus de 150 dissidents qui ont fait fi des suffrages (sur 538) dans les mandats Obama. Une trentaine d'État prévoient même l'imposition d'amendes variant entre 500 et 1000$ pour les Grands Électeurs se prononçant contre le scrutin final.
Plusieurs vivent de l'espoir que le Collège Électoral ne confirme pas la présidence de Donald Trump, qui a tout de même plus de 2 millions de vote de moins que sa rivale Hillary Clinton. Ceci veut dire que plus de 66 millions de voteurs aux États-Unis ne voulaient pas de Trump.
Dans la constitution, on a créé le Collège Électoral afin d'éviter que la fonction de Président n'échoie à un individu ne possédant pas les qualifications requises.
Alexander Hamilton a même écrit qu'il fallait éviter qu'un démagogue doué pour "les petites intrigues" ne réussisse à berner la population.
C'est fou ce que tout ça s'applique parfaitement au Président Trump.
Le Collège Électoral n'a jamais renversé le résultat d'un vote, et on ne connait pas le niveau de déstabilisation que cela ferait, si ça arrivait.
Mais on ne connait pas non plus le niveau de déstabilisation que les moineaux actuels provoqueront dans la volière de la Maison-Blanche.
Brouillard et Néant.
Ce ne serait pas une interprétation de la règle de la constitution que de se prononcer contre le résultat final. Ce serait éviter que la présidence échoie à un homme n'ayant pas les qualifications requises. Et ce serait éviter qu'un démagogue ne berne la population avec ses petites intrigues.
7 Grands Électeurs ont déjà confirmé qu'il voteraient contre Trump. Il en faudrait plus de 20 pour qu'il ne dispose plus de la majorité de 270.
Mais tout ça reste vain, puisque la Chambre des Représentants aura le dernier mot alors qu'elle est, en ce moment, à majorité républicaine.
Reste qu'on ne parle pas d'une interprétation vague du 2ème amendement.
On incarne absolument, ce contre quoi, on voulait se protéger il y a 230 ans.
C'est comme si la peste disait au docteur:
"écoutez-moi bien docteur, voici ce que vous devriez faire..."
À la mi-décembre, les Grands Électeurs du Collège Électoral, ils sont 538 + 3 du District de Columbia, confirmeront (ou pas) la présidence du bouffon voté.
Et le voilà en zone parfaitement pyschotique en prétendant avoir gagné le vote populaire!
Ce pays a tout pour devenir soudainement petit.