Cette manie de me savoir un ange,
sans âge,
sans mort où me vivre,
sans piété pour mon nom
ni pour mes os qui pleurent à la dérive.
Et qui n’a pas un amour ?
Et qui ne jouit pas parmi des coquelicots ?
Et qui ne possède pas un feu, une mort,
une peur, une chose horrible,
même avec des plumes,
même avec des sourires ?
Sinistre délire que d’aimer une ombre.
L’ombre ne meurt pas.
Et mon amour
n’embrasse que ce qui flue
comme lave de l’enfer :
une loge secrète,
fantômes en douce érection,
prêtres d’écume
et surtout anges,
anges radieux comme des couteaux
qui se lèvent dans la nuit
et dévastent l’espérance.
*
Esta manía de saberme ángel,
sin edad,
sin muerte en qué vivirme,
sin piedad por mi nombre
ni por mis huesos que lloran vagando.
¿Y quién no tiene un amor?
¿Y quién no goza entre amapolas?
¿Y quién no posee un fuego, una muerte,
un miedo, algo horrible,
aunque fuere con plumas,
aunque fuere con sonrisas?
Siniestro delirio amar a una sombra.
La sombra no muere.
Y mi amor
sólo abraza a lo que fluye
como lava del infierno:
una logia callada,
fantasmas en dulce erección,
sacerdotes de espuma,
y sobre todo ángeles,
ángeles bellos como cuchillos
que se elevan en la noche
y devastan la esperanza.
***
Alejandra Pizarnik (Buenos Aires, Argentine 1936-1972) – Les aventures perdues (Las aventuras perdidas, 1958) – Journaux, Alejandra Pizarnik, José Corti – Collection Ibériques, 2010. Présentés par Silvia Baron Supervielle, traduits par Anne Picard.