25 novembre 2016 / Sarah Lefevre (Reporterre)
Piéger les déchets charriés par les courants grâce à des filets
On se souvient de ce jeune Néerlandais de 18 ans dont le projet pharaonique de barrage flottant a fait le tour du monde des réseaux sociaux en 2013. Cette solution concrète et spectaculaire s’attaque à la pollution apparente. Pour vider les océans des déchets de plastique, Boyan Slat a conçu un système de capteur à ordures maritimes qui s’adapterait aux courants pour attirer les polymères dans ses filets. Trois ans plus tard, le prototype du projet The Ocean Cleanup est mis à l’eau, en mer du Nord, à une vingtaine de kilomètres au large des côtes des Pays-Bas. Le filet de cent mètres de long doit résister aux tempêtes et aux courants marins particulièrement puissants dans la région. « Les conditions au cours d’une tempête mineure ici sont plus sévères que celles au cours des tempêtes exceptionnelles dans l’océan Pacifique », expliquait Boyan Slat en juin dernier lors de l’annonce officielle du test.- Boyan Slat, le fondateur de The Ocean Cleanup.
« Gladiateur des mers »
« Malheureusement, pour ces déchets-là, on ne peut pas faire grand-chose », rebondit Yvan Bourgnon, joint par téléphone alors qu’il arpente les couloirs de la COP22. Le marin, vainqueur de la transat Jacques Vabre en double en 1997, est à l’origine d’un autre projet de collecte de plastique en mer. Le Manta, « le plus grand quadrimaran du monde », trainera derrière lui une herse pour capter les « macrodéchets ». L’équipe des Sea Cleaners, ou « nettoyeurs de la mer »,détaille en vidéo le fonctionnement de ce « camion poubelle de la mer », autosuffisant car équipé de panneaux solaires.Arrêter la « bombe à retardement »
Si ces nettoyeurs de la mer fascinent et se démarquent médiatiquement dans un contexte où beaucoup d’acteurs environnementaux proposent des solutions, quels seront leurs résultats concrets sur la préservation du patrimoine océanique ? Pour beaucoup, la technologie de pointe ne suffit pas.« Pour moi, ce nettoyage des mers, c’est de l’agitation, de la communication », explique Bruno Dumontet, directeur de l’association Expédition Med, qui a rencontré Yvan Bourgnon à Marrakech. « C’est bien, parce qu’on parle du problème, poursuit-il, mais les plastiques, une fois en mer, plongent et se retrouvent à des niveaux de profondeur très différents. Je préfèrerais que l’on investisse autant de moyens en amont de la production de déchets pour couper le robinet ! »- Les gyres océaniques sont des siphons marins où se concentrent les déchets sous l’acion des courants.
« Agir maintenant pour que les choses changent »
Selon Bruno Dumontet, il faut même aider les pays du Sud à prendre en compte les enjeux écologiques maritimes pour que les mesures aient du sens à l’échelle de la Méditerranée, qui met plus d’un siècle à se renouveler. Le Maroc a interdit l’usage des fameux sachets de polymères, mais l’Algérie, la Tunisie, la Libye… font face à bien d’autres priorités. Le contexte géopolitique retarde l’adoption de telles mesures et la mise en place d’un système cohérent de retraitement des déchets. C’est pourtant toute l’économie et la santé des habitants de la région qui sont en jeu : « Nous avons effectué des relevés en Méditerranée sur certains de ces microdéchets et avons décelé l’existence de microbactéries, pathogènes pour l’homme. Or, la prolifération des polluants aura bien sûr un impact sur la chaine alimentaire, la santé des hommes habitant ces littoraux et ceux qui les visitent, sans parler, bien sûr, des rejets industriels en mer. »Prôner le principe de « l’économie circulaire »
De retour de cette COP22, tous s’accordent sur un point positif : les associations, les ONG et même les multinationales sont de plus en plus nombreuses à prôner le principe de « l’économie circulaire » et à faire le lien entre les mers de plastique et le réchauffement climatique. Le directeur d’Expédition Med insiste, toute raison gardée, sur les débuts d’une prise de conscience de groupes comme Danone, Veolia ou Suez, présents à Marrakech : « De toute façon, on est obligé de faire avec ces groupes. Ils raisonnent, bien sûr, en termes de profit, mais ils se rendent compte qu’un engagement citoyen de plus en plus fort est en train de naître. Pour s’adapter, ils trouvent enfin un intérêt à réagir. »Les recommandations de plus de 60 structures réunies à la COP22 suivent deux axes principaux. Il faut, d’une part, récupérer les résidus qu’il est encore possible de récupérer en mer, les retraiter pour en évacuer les perturbateurs endocriniens tout en s’assurant que ce ramassage du plastique est en accord avec le reste des enjeux écologiques et que son retraitement s’effectue localement. Et il faut, dans le même temps, tarir le gisement de déchets grâce au passage du jetable au durable, grâce à des mesures de fiscalité contraignantes et encourageantes pour les entreprises, en insistant sur la réduction des déchets à la source.Qu’a pensé l’État français de ces initiatives pendant la COP22 ? Le directeur de Green Cross raconte : « J’ai pu discuter avec Ségolène Royal, et elle s’exprime beaucoup pour dire qu’il faut faire quelque chose, qu’il faut lancer un débat sur les océans au sein du gouvernement, mais, elle ne donne aucune orientation concrète. Et je formule les mêmes critiques vis-à-vis de l’Europe. » Au moins 80 % des déchets rejetés en mer viennent de la terre et en majorité des villes. C’est là qu’il faut agir, insiste-t-il. « Il y a entre 30 et 40 ans de consommation de déchets en plastique aujourd’hui dans les océans. Plus les États tarderont, plus cela leur coûtera cher d’agir. »Vous avez aimé cet article ? Soutenez Reporterre.
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Source : Sarah Lefevre pour ReporterrePhotos :
. Installation du prototype en mer du Nord de The Ocean Cleanup, le 23 juin 2016. © The Ocean Cleanup
. Boyan Slat et déchets : © The Ocean Cleanup
. gyres : Wikipedia (Fangz/domaine public)https://reporterre.net/Face-a-la-maree-de-plastique-dans-les-oceans-les-parades-se-preparent